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Symposium - AIC

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Ruby Blondell – Sandra Boehringer<br />

boule androgyne. Il tente ainsi d’organiser la sexualité humaine en trois catégories bien distinctes,<br />

mais sans pouvoir y intégrer l’ensemble des aspirations et des rôles tels qu’ils se formulaient dans<br />

l’Athènes de Platon. La cartographie érotique d’Aristophane brise l’opposition binaire<br />

activité/passivité en créant trois types de couples où dans chacun d’eux le désir est égal et réciproque,<br />

ne laissant pas de place aux hiérarchies traditionnelles.<br />

Le mythe d’Aristophane nous mène au deuxième thème platonicien qui se trouve être<br />

primordial dans notre analyse du cinquième Dialogue des courtisanes : les relations sexuelles entre<br />

femmes. En raison de la rareté du thème, les chercheurs l’ont surexploité pour remplir le vide créé par<br />

le silence des sources. Les interprétations de ce passage varient, mais globalement deux lectures<br />

dominent (elles se chevauchent parfois) : selon l’une, Lucien offre à son public l’image d’une relation<br />

entre femmes sur le modèle actif-passif, où Mégilla endosserait le rôle actif et masculin, et l’objectif<br />

de Lucien serait de rendre intelligible ce type de relations pour le public masculin (c’est pour cette<br />

raison, par exemple, que l’on a considéré que Mégilla a réellement un physique viril, qu’elle se<br />

comporte comme un homme et qu’elle utilise un godemiché). La seconde lecture du dialogue consiste<br />

à voir, dans le traitement de ce thème par Lucien, la mise en scène d’une inversion de genre et la<br />

construction de nouvelles identités psychologiques : ce seraient des lesbiennes et, plus<br />

particulièrement, Mégilla serait une butch, Léaina une fem (c’est une interprétation qui permet<br />

apparemment une compréhension plus facile du passage pour un public contemporain). Nous pensons<br />

qu’aucune de ces deux lectures n’est valable et que le texte de Lucien ne peut être compris qu’à la<br />

lumière de son lien avec son sous-texte, le Banquet de Platon.<br />

Ce sous-texte est particulièrement perceptible pour le public, en particulier dans l’usage que fait<br />

Lucien d’un terme précis. Lorsque Klonarion rapporte la rumeur sur les femmes de Lesbos, elle utilise<br />

le terme d’hetairistria. Il s’agit de la deuxième occurrence de ce terme dans le corpus grec, la première<br />

apparaissant dans le Banquet de Platon. Dans son célèbre discours, Aristophane raconte que les<br />

moitiés femelles, issues de la coupure de l’être femelle, sont plutôt attirées par les femmes que par les<br />

hommes, et que dans cette catégorie figurent les hetairistriai (191e). Mais que signifie ce mot ? Dans<br />

ce contexte, le terme d’hetairistriai ne peut d’aucune manière être traduit par « lesbiennes » ou<br />

« homosexuelles » puisque ces catégories n’existent pas dans le monde antique (les comportements<br />

sexuels ne servent à construire une « identité psychologique » ou « intime » des individus). Il ne<br />

désigne pas non plus toutes les femmes issues de la scission de l’être femelle : il désigne celles qui<br />

sont attirées intensément par les femmes. Aristophane ne donne pas davantage d’information sur ces<br />

femmes, qui prennent place dans une histoire fabuleuse et imaginaire dont les distorsions par rapport à<br />

la réalité sont autorisées par le statut d’auteur comique du personnage (cf. 189b). Le personnage de<br />

Lucien, Klonarion, en fournit une définition : « des femmes à l’air viril (arrenopos) qui ne veulent pas<br />

se donner (paschein) aux hommes, mais qui ont des relations (plesiazein) avec des femmes comme<br />

des hommes ». Il y a là sans conteste une association entre l’homoérotisme féminin et le fait d’avoir<br />

des comportements ou des attributs masculins. Mais Klonarion rapporte des on-dits, elle n’a pas<br />

participé personnellement à la soirée de Mégilla, et le récit de Léaina fournit des informations bien<br />

plus précises que ce que cette définition d’hetairistria élaborée par une courtisane apporte.<br />

Qu’en est-il, en effet, de leur apparence physique ? Lorsque Léaina dit de celle-ci qu’elle est<br />

« terriblement masculine », il est certain qu’il ne s’agit pas d’un trait visible pour tous ni que Mégilla<br />

a l’air d’être un homme. La perruque, dont Léaina découvre avec étonnement l’existence un peu plus<br />

tard, est « invisible (littéralement : très ressemblante) et bien attachée ». Le seul trait physique qui<br />

renvoie à un trait masculin est la nudité de son crâne au moment où elle retire la perruque, une<br />

caractéristique que toute femme peut avoir… en se rasant la tête. Par ailleurs, Mégilla se présente<br />

comme un neaniskos, un jeune homme, et non comme un homme mûr : or la caractéristique culturelle<br />

du neaniskos est, précisément, de ne pas avoir de signes affirmés de la virilité et de conserver la<br />

douceur des traits sexuellement indéterminés de l’enfance. Par conséquent, Mégilla a une apparence<br />

parfois féminine, parfois androgyne, selon qu’elle porte ou non sa perruque. Elle n’a donc pas de<br />

“physique mâle”. Ajoutons qu’à aucun moment il n’est dit que Démonassa aurait des traits masculins,<br />

alors même qu’il est précisé qu’elle a les mêmes pratiques (homotechnos) et que les deux se<br />

conduisent “comme des hommes” . Il s’agit donc dans ce dialogue de caractère et de comportement, et<br />

non d’apparence physique.<br />

Alors, peut-être est-ce un rôle sexuel actif que Léaina caractériserait lorsqu’elle utilise le terme<br />

de « viril », impliquant ainsi que Démonassa aurait le rôle « passif » ? Pourtant, alors même que<br />

Démonassa a été désignée comme l’épouse de Mégilla, elle a les mêmes pratiques qu’elle : comme<br />

Mégilla, elle se conduit « comme le font les hommes » lorsqu’elle embrasse et enlace Léaina, avec<br />

une énergie que le texte ne manque de souligner. À d’autres moments c’est Léaina qui prend<br />

l’initiative - bref, il apparaît nettement qu’il n’y a pas là un simple renversement ou une simple<br />

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