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Symposium - AIC

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Alexis Pinchard<br />

foncière ; et, tombant en pourriture, il ne tarderait pas à passer définitivement (Phédon, 87d-e, trad.<br />

Robin).<br />

Il faut resituer cette théorie dans son contexte dialectique. Socrate veut montrer à Simias que l’un de<br />

ses arguments pour prouver l’immortalité de l’âme, basé sur une analogie entre l’âme est un tisserand,<br />

est invalide. La raison n’en est pas nécessairement la fausseté de l’analogie qui sert de prémisses,<br />

mais son incapacité à fonder la conclusion qu’on veut en tirer. Socrate, d’ailleurs, admet que l’âme<br />

soit quelque chose de « plus durable » que le corps ainsi que l’implique l’analogie. Néanmoins la<br />

valeur de vérité de l’analogie avec le tisserand n’est pas maintenue explicitement par Socrate, qui<br />

reste neutre. Ce dernier veut surtout montrer que, quand bien même on admettrait cette analogie, on<br />

n’aurait pas encore l’argument recherché. Il réfute ici l’âme de Simias, qui raisonne maladroitement,<br />

et non l’une de ses thèses en particulier. Il s’agit d’une manœuvre élenchtique typiquement socratique.<br />

Pourtant, de manière plus générale, il est indéniable que le Phédon admet que l’âme apporte<br />

partout et nécessairement avec elle la vie, puisque c’est même là une des prémisses pour le dernier<br />

argument en faveur de l’immortalité de l’âme 7 . Comment donc réconcilier cette conception de l’âme<br />

exposée et non démentie par Socrate, et celle exposée par Diotime dans le Banquet ? Un telle<br />

réconciliation est-elle même possible ?<br />

Cette contradiction au moins apparente ne serait pas la seule dans l’œuvre de Platon<br />

concernant l’âme. Dans le Timée, seule une partie de l’âme, l’élément rationnel, est dite<br />

« immortelle », tandis qu’est dite « mortelle » celle qui apporte la vie au corps en lui insufflant les<br />

désirs nécessaires à sa conservation 8 . Les deux contradictions sont analogues et peuvent se résoudre<br />

de manière analogue, ce qui nous amène de manière assez naturelle à des interprétations proches du<br />

néoplatonisme, en particulier Plotin. En effet, l’âme étant principe de son propre mouvement, elle ne<br />

peut non seulement se rapprocher ou s’éloigner d’autres réalités, et donc changer son rapport à elles,<br />

mais elle peut aussi — et c’est en fait la condition du premier point — changer son rapport à ellemême<br />

de par sa propre initiative. C’est ainsi qu’elle peut s’aliéner et être plus ou moins elle-même.<br />

Son soi peut se poser comme distance à soi, voire perte de soi.<br />

Or, pour Platon, la vraie vie est celle de l’esprit :<br />

S’étant alors rapproché de cet objet, s’étant confondu vraiment avec l’être, ayant engendré<br />

intelligence et vérité, il vivra (souligné par nous) se nourrira véritablement, et ainsi cesseront pour lui<br />

les douleurs de l’enfantement (République VI, 490b).<br />

L’âme n’est principe de vie pour le corps que parce qu’elle est elle-même la vie par excellence. Et sa<br />

vie atteint son maximum d’intensité lorsqu’elle pense et en tant qu’elle pense les Formes. La vie de<br />

l’âme s’amoindrit au fur et à mesure qu’elle s’éloigne de son centre intellectif. La vie que reçoit le<br />

corps et qu’il détient n’est plus la vie primordiale. C’est une âme aliénée, par sa propre initiative, qui<br />

devient capable s’assurer les fonctions vitales du corps. Mais cette âme compromise, qui se meut sur<br />

le mode du désir et de l’ardeur combattive peut disparaître comme elle est apparue, en fonction des<br />

options cognitives de l’âme, sans que l’âme elle-même soit réduite à néant. Il s’agit donc en quelque<br />

sorte d’une partie mortelle de l’âme. Elle ne dure qu’autant que l’âme veut se projeter en autre chose<br />

qu’elle-même et refuse de se connaître pleinement elle-même. De même, ce qui, de l’âme, constitue et<br />

reconstitue le corps au cours temps, n’est plus vraiment l’âme. L’âme ne peut fournir au corps qu’un<br />

simulacre d’identité car, quand elle se tourne vers le corps, elle est elle-même exilée d’elle-même.<br />

L’âme, sortie d’elle-même, ne peut se manifester dans le corps qu’en le dispersant, qu’en introduisant<br />

en lui un mouvement linéaire, dont la fin ne saurait coïncider avec le commencement. Par exemple, la<br />

vieillesse demeure inexorablement distincte de l’enfance. Le temps de notre existence, en tant que<br />

nous sommes mortels, est irréversible, comme Platon le montre dans le mythe du Politique. Ce<br />

décalage entre le commencement et la fin n’advient pas malgré l’âme mais à cause de l’âme. Donc<br />

quand bien même l’âme contribuerait à la reconstitution quotidienne du corps, elle ne saurait valoir<br />

7 Cf. Platon, Phédon, 105c : « Qu’est-ce qui, en se présentant dans un corps, fera qu’il soit vivant ? — Ce sera l’âme, dit-il.<br />

— Est-ce qu’il en est toujours ainsi ? — Le moyen, en effet, de le nier ! fir Cébès — Sur quelque objet, par conséquent, que<br />

l’âme mette sa prise, elle est venue à l’objet en question, portant avec elle la vie. »<br />

8 Cf. Platon, Timée, 69c-d : « [Les jeunes dieux nés du Démiurge], à son imitation, entreprirent, après qu’ils eurent reçu le<br />

pricipe immortel de l’âme, de façonner au tour pour lui un corps mortel et, à ce corps, ils donnèrent pour véhicule le corps<br />

tout entier cependant qu’ils établissaitent dans ce dernier une autre espèce d’âme, celle qui est mortelle et qui comporte en<br />

elle-même des passions terribles et inévitables : d’abord le plaisir, le plus important appât qui provoque au mal, ensuite les<br />

douleurs qui éloignent du bien, et encore la témérité et la peur, un couple de conseillers peu sâges, l’emportement rebelle aux<br />

exhortations, et l’espérance facile à décevoir. Ayant fait un mélange avec ses passions, la sensation irrationnelle et le désir de<br />

qui vient toute entreprise, ils ont constitué l’espèce mortelle en se soumettant à la nécessité. »<br />

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