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Arnaud Macé<br />
synthèse du corporel en général, à voir apparaître un nouveau type de choses qui sont susceptibles de<br />
beauté : les âmes. La beauté qui se trouve dans les âmes lui semblera plus digne d'éloge que celle qui<br />
est dans les corps, de telle sorte qu'il sera enclin à chérir et prendre soin d'une personne possédant une<br />
âme admirable, quand bien même son physique serait ingrat (210b6-c3). Or si l'on s'arrête sur la<br />
nature des discours qu'une âme admirable inspire, on s'aperçoit, poursuit la prêtresse, qu'il s'agit de<br />
discours qui ont pour but de « rendre la jeunesse meilleure ». Cela implique que la beauté qui est dans<br />
les âmes (τὸ ἐν ταῖς ψυχαῖς κάλλος 210b6-7), est aussi la beauté qui est dans les conduites et dans les<br />
lois qui les inspirent (τὸ ἐν τοῖς ἐπιτηδεύµασι καὶ τοῖς νόµοις καλὸν 210c2-3/τὰ καλὰ ἐπιτηδεύµατα<br />
211c5). Les actes, comme les discours, sont ce en quoi se manifeste la beauté des âmes.<br />
Cette façon qu'à la beauté des discours et celle des esprits qu'ils révèlent justement, comme les<br />
actes le font aussi, d'évincer la beauté des corps est là aussi comme une réminiscence homérique : on<br />
pense à l'apparition d'Ulysse devant les Troyens, tel que Priam se la remémore tandis que du haut des<br />
remparts en compagnie d'Hélène il reconnaît le roi d'Ithaque affairé à ranger ses hommes, au livre III.<br />
Ulysse apparaît au vers 194-198, moins grand qu'Agamemnon mais paraît plus large, de la poitrine et<br />
des épaules (194), et Priam se souvient de la façon du jour où Ulysse et Ménélas se présentèrent<br />
devant l'assemblée troyenne. Le roi de Sparte parle le premier, homme de peu de mots, mais qui<br />
sonnent bien. Ulysse lui, lorsqu'il se lève pour parler a d'abord l'air d'un idiot : il se tient là, les yeux<br />
au sol, le sceptre immobile – il a l'air de quelqu'un qui a perdu l'esprit (ἄφρονά 220). Pourtant, dès que<br />
sa voix sort de sa poitrine, « avec des mots tombant pareils aux flocons de neige en hiver » 19 , alors,<br />
aucune mortel ne peut rivaliser, et, dès lors, avoue Priam, « nous songions moins désormais à admirer<br />
sa beauté » 20 . La description homérique a le grand mérite de nous donner une idée, même<br />
métaphorique, des traits que l'on peut expliciter pour décrire la beauté d'une âme, ou la beauté de ses<br />
mots, de sa manière de se révéler à travers son discours. On pense à la façon dont Socrate décrit<br />
Théétète, aussi laid que lui-même, mais révélant une âme d'une grande beauté, lorsqu'il manifeste ce<br />
mélange de courage et de douceur qui lui permet de progresser à travers les problèmes sans effort,<br />
comme une nappe d'huile s'épand silencieusement (144a1-b7) 21 .<br />
Avec les corps et les actes qui révèlent les âmes, les deux premiers niveaux de l'initiation,<br />
nous tenons du reste les deux types de choses dans lesquelles les Formes de vertu peuvent se<br />
manifester – c'est encore le verbe φαντάζω qui est utilisé à ce propos dans un autre texte de Platon :<br />
Καὶ περὶ δὴ δικαίου καὶ ἀδίκου καὶ ἀγαθοῦ καὶ κακοῦ καὶ πάντων τῶν εἰδῶν πέρι ὁ αὐτὸς λόγος, αὐτὸ<br />
µὲν ἓν ἕκαστον εἶναι, τῇ δὲ τῶν πράξεων καὶ σωµάτων καὶ ἀλλήλων κοινωνίᾳ πανταχοῦ φανταζόµενα<br />
πολλὰ φαίνεσθαι ἕκαστον. 22<br />
Et le raisonnement est le même en ce qui concerne le juste et l'injuste, le bien et le mal et toutes les<br />
autres Formes : chacune elle-même est une, mais paraît multiple en se manifestant partout en<br />
communauté les unes avec les autres et avec les actes et les corps. 23<br />
Ce qui est troublant, peut-être, c'est qu'il faille penser que la même chose se « manifeste » dans des<br />
corps et dans des actes, comme si c'est deux niveaux étaient susceptible de nous procurer des<br />
descriptions homogènes de propriétés. Or, si l'on se transporte du côté de la beauté, comment<br />
imaginerions-nous unir l'arrondi et le lisse qui font la belle marmite, la grâce du visage et des mains<br />
qui font le beau jeune homme, et la douceur audacieuse qui fait la belle âme ? Nous allons revenir sur<br />
sur ce point. Il y a encore une étape dans l'ascension.<br />
c) La beauté qui est dans les sciences.<br />
Après les occupations, on parvient au beau qui est dans les sciences (ἐπιστηµῶν κάλλος 210c7, τὰ<br />
καλὰ µαθήµατα 211c6). On pourrait dire que les sciences sont dans les âmes – et donc que ces beautés<br />
feraient partie de celles que l'on a déjà pu envisager. Mais s'il s'agit toujours d'une logique d'éminence,<br />
il est plus probable qu'il s'agisse d'un nouveau genre de beauté, non pas celle des sciences en tant que<br />
dispositions psychiques, mais celle des objets de science, par exemple la beauté de l'ordre<br />
mathématique que révèle l'étude de l'univers. Il s'agirait par exemple éventuellement de cette beauté<br />
qui se trouve dans le cosmos, en tant que la science y trouve des régularités, comme lorsque dans le<br />
19 καὶ ἔπεα νιφάδεσσιν ἐοικότα χειµερίῃσιν, 222. C'est l'élégante la traduction de Paul Mazon.<br />
20 οὐ τότε γ' ὧδ' Ὀδυσῆος ἀγασσάµεθ' εἶδος ἰδόντες, 224. C'est là encore la traduction de Paul Mazon.<br />
21 Voir A. Macé, « L’institution platonicienne de la question des vertus intellectuelles », Les Cahiers philosophiques de<br />
Strasbourg, n o 20, éd. par T. Bénatouïl et M. Le Du, 2006, p. 11-48, p. 26-27.<br />
22 République 476a4-7 Burnet.<br />
23 Nous traduisons.<br />
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