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Symposium - AIC

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Alexis Pinchard<br />

ensemble de propriétés. L’identité personnelle du philosophe n’est donc pas un acquis mais une tâche<br />

de chaque instant, une fidélité toujours renouvelée au logos une première fois assumée. En revanche,<br />

pour le commun des mortels, l’identité de l’âme consiste seulement dans le désir — Eros — qui mène<br />

d’image en image 10 . Eros, au niveau du corps, produit d’autres corps ; au niveau de l’âme, il produit<br />

des affects successifs qui sont à eux-mêmes leurs propres sujets mais s’appellent les uns les autres à<br />

l’autres à l’infini. Cette série est liée dynamiquement par le désir, non pas un substrat statique<br />

commun se tenant en retrait. C’est l’élan érotique lui-même qui se soutient — l’âme est auto-motrice<br />

— et qui soutient continûment les diverses tonalités affectives qui peuvent le colorer. Certes, toute<br />

âme d’homme pense un tant soit peu, car toute âme d’homme a vu les Formes mais Eros produit le<br />

plus souvent une perte de soi dans l’extériorité. Seul l’amour de l’Idée reconnu comme tel peut<br />

maintenir une tension continue de soi vers soi. C’est l’attraction de l’Idée qui incurve le mouvement<br />

de l’âme pour en faire un cercle parfait, de même que, dans le système Newtonien, c’est l’attraction<br />

du soleil qui courbe le mouvement de certains corps célestes pour en faire ses satellites, les planètes.<br />

L’intellect n’est pas un sujet donné a priori qui endure une série d’expérience comme autant<br />

de modifications périphérique successives, mais il est l’attitude d’une âme qui s’efforce, au nom de<br />

son amour du Bien et du Beau, de demeurer à la hauteur de l’exigence qui lui a donné naissance.<br />

L’intellect est un geste, une danse, et il n’est un « organe », comme le dit parfois Platon dans la<br />

République, que par métaphore et commodité de langage. C’est, pour l’âme, une manière de se<br />

comporter à l’égard d’elle-même et, du même coup, c’est aussi une manière de se comporter à l’égard<br />

des Idées ; ce comportement investit finalement l’être de l’âme tout entier.<br />

Chez Platon, la reconnaissance du vrai a la valeur éthique du respect d’un serment où, à travers<br />

l’autre, c’est finalement surtout à soi-même que l’on est fidèle. Corrélativement, nier le vrai, c’est se<br />

trahir. La recherche a dialectique est ce qui va montrer cette trahison ou cette fidélité comme telles, et<br />

donc nous amener à nous amender.<br />

En effet, Platon choisit de faire de la recherche de ce que sont les choses en soi et par soi la<br />

forme première de toute piété 11 . S’abstenir de mensonge ne suffit pas à contenter les dieux ; il faut<br />

aussi investir toutes les forces humaines dans l’approfondissement de la vérité spéculative.<br />

Néanmoins, cela se traduit aussi nécessairement par une sincérité envers soi-même et une capacité à<br />

maintenir nos engagements initiaux : c’est le principe de l’ἔλεγχος socratique. Puisque mon âme<br />

possède une semence de vérité en raison de son séjour prénatal dans l’Hadès, et que toutes choses sont<br />

apparentées, je ne puis tenir une opinion erronée sans me contredire secrètement. Pour éviter l’erreur,<br />

je dois être fidèle au serment que m’impose la raison. Seul celui qui est parfaitement en accord avec<br />

soi-même peut dire en vérité ce qui est. Il y a une raison intérieure à l’adéquation de mon discours<br />

avec les objets extérieurs. Or cette semence de vérité en moi ne peut être que d’origine divine, voire<br />

une divinité en personne. Dire la vérité sur ce qui est, c’est donc ne pas négliger son âme en la laissant<br />

dans la contradiction et cela, à son tour, c’est ne pas léser le dieu qui est en nous, l’intellect. Prendre<br />

soin de la partie de notre âme capable de penser porte tous les cultes extérieurs à leur perfection, voire<br />

les remplace avantageusement pour ce qui est de la familiarité avec le divin :<br />

En ce qui concerne l’espèce d’âme [l’intellect] qui en nous domine, il faut se faire l’idée que voici. En<br />

fait, un dieu a donné à chacun de nous, comme démon, cette espèce d’âme-là dont nous disons — ce<br />

qui est parfaitement exact — qu’elle habite la partie supérieure de notre corps, et qu’elle nous élève<br />

au-dessus de la terre vers ce qui, dans le ciel, nous est apparenté. [...] L’homme qui a mis tout son zèle<br />

à acquérir la connaissance et à obtenir des pensées vraies, celui qui a exercé surtout cette partie de luimême,<br />

il est absolument nécessaire, je suppose, qu’il ait des pensées immortelles et divines, si<br />

précisément il a atteint à la vérité ; que, dans la mesure, encore une fois, où la nature humaine est<br />

capable d’avoir part à l’immortalité, il ne lui en échappe pas la moindre parcelle ; enfin que, puisqu’il<br />

ne cesse de prendre soin de son élément divin et qu’il maintient en bonne forme le démon qui en lui<br />

partage sa demeure, il soit supérieurement heureux 12 .<br />

Inversement, l’absence de vérité spéculative, cause de toute immoralité — nul n’est méchant<br />

volontairement —, détruit positivement l’âme, la privant des béatitudes parmi les dieux promises aux<br />

initiés de la philosophie :<br />

10 Cf. Leibniz, Lettre à la reine Anne-Sophie Charlotte : « Car, comme le mouvement mène la matière de figure en figure,<br />

l’appétit mène l’âme d’image en image. »<br />

11 Cf. Alexis Pinchard, Les langues de sagesse dans la Grèce et l’Inde anciennes, Genève, 2009, p. 160 et suivantes.<br />

12 Platon, Timée, 90a-c. Plus généralement, sur les devoirs sacrés de l’homme envers son âme comme envers ce qu’il y a de<br />

plus divin en lui, cf. Lois V, 726a-728c.<br />

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