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Symposium - AIC

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Michel Fattal<br />

est relation. L’amour établit manifestement une relation entre les hommes. Cette relation est d’ordre<br />

sexuelle et pédagogique. La relation sexuelle (sunousia) unissant deux êtres l’un à l’autre, et l’amour<br />

masculin ou plus exactement la paiderastia, dont il est souvent question dans les premiers discours du<br />

Banquet, rendent compte de la relation pédagogique unissant le maître à son disciple, et unissant<br />

l’amant (erastês) qui est âgé à l’aimé (erômenos) qui est plus jeune 11 . « Agathon, (qui est) assez<br />

représentatif des convictions de son époque, considère l’éducation comme la transmission du savoir<br />

ou de la vertu qui passe d’un récipient plein, le maître, vers un récipient vide ou moins rempli, le<br />

disciple, par l’intermédiaire d’un contact physique…dans l’union sexuelle. A cette représentation<br />

masculine de l’éducation, Diotime, une étrangère dont Socrate prétend rapporter les paroles, oppose,<br />

vers la fin du dialogue, une autre représentation, féminine celle-là, qui fait intervenir la<br />

procréation » 12 . Ce qu’on peut noter ici, c’est que Diotime propose, en contrepoint du lien classique<br />

unissant pédagogie et pédérastie, une représentation nouvelle de la relation pédagogique qui s’appuie<br />

sur la relation sexuelle de type féminin et qui a partie liée à la procréation, c’est-à-dire à la recherche<br />

de l’immortalité. Une telle recherche de l’immortalité n’avait nullement été envisagée par les cinq<br />

discours qui précèdent. N’est-ce pas dans la recherche du Beau en soi, du beau dans les âmes et dans<br />

les corps qu’il est possible d’accéder à une forme d’immortalité ? Mais qu’est-ce qui permet de<br />

rechercher le Beau en vue de s’immortaliser sinon la philosophie ? Platon ne dira-t-il pas dans le<br />

Phèdre, 248 d, que le philosophe est un philokalos, un « amoureux du beau » ?<br />

Rappelons pour l’instant que le titre, le thème et la forme littéraire du Banquet sont tous<br />

placés sous le signe de la relation : relation des convives autour du vin, relation des orateurs autour<br />

d’un logos qui est un éloge de l’amour, relation pédagogique entre un maître et un disciple induisant<br />

une relation sexuelle entre un homme âgé et un homme jeune. La forme littéraire de l’éloge est ellemême<br />

fédératrice, car elle suppose l’accord de tous les convives et orateurs sur le fait que l’amour est<br />

un dieu, qu’il est beau, et qu’il faut nécessairement l’honorer et le louer par un discours. Ce discours<br />

(logos) est donc le « lien » qui unit et réunit par excellence les convives. N’oublions pas que le<br />

substantif logos provient du verbe legein, dérivé de la racine leg- qui renvoie au fait de lier et de<br />

relier. Ainsi, avant de signifier « parler », le verbe legein signifie avant tout le fait de « rassembler,<br />

ramasser, recueillir » 13 . Platon lui-même ne définira-t-il pas, dans le Théétète et dans le Sophiste, le<br />

logos comme « combinaison » (sunthesis) ou comme « entrelacement » (sumplokê) de noms et de<br />

verbes, ou d’idées entre elles. On notera ici l’importance qui est à nouveau accordée au sun- de<br />

sunthesis (de noms et de verbes) et de sumplokê (d’idée). Un sun- dont l’importance a été<br />

précédemment relevée au sujet des termes de sumposion (beuverie commune) et de sunousia (relation<br />

sexuelle). Le logos discursif en tant que lien (desmos) ou synthèse de noms et de verbes et, en tant que<br />

relation d’idées (ou de genres), porte sur un objet, l’amour qui est lui-même relation. Le logos dit<br />

donc « quelque chose » au sujet de « quelque chose » (l’amour) qui est lui-même en relation avec<br />

« quelque chose », le beau.<br />

En effet, dans la discussion de Socrate avec Agathon (Banquet, 199 b - 201 c), il s’agit de voir<br />

si l’amour est amour de « quelque chose » (tinos) ou amour de « rien » (oudenos).<br />

La question est posée par Socrate à Agathon à deux reprises en 199d-e. La réponse donnée est<br />

la suivante : l’amour est amour de la beauté dont on est dépourvu. En faisant ainsi de l’amour un<br />

relatif ou un corrélatif du beau qui nous manque, Socrate bat en brèche l’idée classique défendue par<br />

Agathon selon laquelle l’amour est beau. L’amour n’est pas identifié au beau, mais il est amour du<br />

beau. Dans la relation masculine et pédagogique unissant le maître à son disciple, l’amour est<br />

principalement amour du beau (physique et moral) qu’on ne possède pas. L’éloge de Socrate qui sera<br />

prononcé par Alcibiade à la fin du Banquet en est la preuve la plus éloquente. Alcibiade, en aimant<br />

Socrate, va finir par aimer en Socrate ce dont il est dépourvu, à savoir sa beauté morale, intellectuelle<br />

et spirituelle 14 . Au même titre que le logos qui est relation puisqu’il « dit quelque chose au sujet de<br />

quelque chose » (legei ti kata tinos) 15 , l’amour est relation, car il est l’amour « de quelque chose »<br />

11 Sur la relation qui unit la sexualité à l’éducation en Grèce archaïque et classique, et dans le Banquet de Platon, voir<br />

notamment, C. Calame, L’Eros dans la Grèce antique, Paris, Belin, « L’Antiquité au présent », 1996 ; L. Brisson, op. cit.,<br />

Introduction, pp. 55-65.<br />

12 Op. cit., p. 11, et notamment p. 61 sq.<br />

13 Voir à ce sujet, Fournier, Les verbes « dire » en Grec ancien, Paris, 1946 ; M. Heidegger, Introduction à la métaphysique,<br />

Paris, Gallimard, « Tel », 1967, p. 132 ; et surtout M. Fattal, Logos, pensée et vérité dans la philosophie grecque, Paris-<br />

Montréal-Turin-Budapest, L’Harmattan, « Ouverture Philosophique », 2001, pp. 28-48 ; pp. 52-57 ; trad. it. Ricerche sul<br />

logos, op. cit., pp. 24-40 ; pp. 42-46.<br />

14 Voir à ce sujet, P. Hadot, « La figure de Socrate », in Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 2002<br />

(1993, 1 ère éd.), pp. 100-141 ; repris dans Eloge de Socrate, Paris, Editions Allia, 1998.<br />

15 Platon, Le Sophiste, 237 e : « Qui ne dit quelque chose (…) ne dit rien ». Le logos est donc discours de quelque chose ou<br />

sur quelque chose (tinos). Il « dit quelque chose au sujet de quelque chose » (legei ti kata tinos). Cette réflexion sur<br />

l’attribution et la prédication qui apparaît chez Platon se trouvera thématisée et systématisée par Aristote. Voir à ce sujet, M.<br />

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