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Symposium - AIC

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Alexis Pinchard<br />

exemple de nature mortelle : ce n’est que pour le mortel que la question des stratégies<br />

d’immortalisation se pose. Le tout a ici le même caractère que les parties. Bien que le composé puisse<br />

se défaire lors de la mort du vivant individuel, ce n’est pas seulement le composé âme-corps qui est<br />

sujet à l’alternative opposant mortel et immortel, comme l’envisage Socrate dans le Phèdre 4 , mais ce<br />

sont aussi le corps et l’âme, chacun pris en lui-même, car chacun connaît à tout instant de sa durée,<br />

fût-elle limitée ou illimitée, pour ainsi dire une petite mort. On ne peut pas se rassurer en disant que le<br />

composé, en tant que tel, est mortel, c’est-à-dire susceptible de se dissoudre en ses deux composantes<br />

de base, et doit donc recourir à un artifice pour s’immortaliser, tandis que les composantes seraient<br />

parfaitement immortelles. L’imperfection du composé relativement à l’immortalité de l’intelligible a<br />

sa ratio essendi aussi dans l’imperfection des composantes. Mais qu’est-ce que signifie être mortel<br />

pour un corps pris en lui-même, hors de son rapport à une unique âme ? Peut-on définir la mortalité, et<br />

donc la vie, sans référence à l’âme ? Cela semble contradictoire au sein du platonisme, et c’est<br />

pourtant ce que le texte présuppose. Car, alors que l’immortalité n’est encore étudiée qu’au niveau du<br />

corps, Diotime parle déjà de « vivant » et de « vie individuelle », tandis que, quand elle aborde l’âme,<br />

elle se cantonne au « nous » humain (ἡµῖν, 208a 1) et ne se lance plus dans des considérations<br />

biologiques générales. Le cas du vivant individuel, censé illustrer une thèse universelle, à portée<br />

ontologique, sur la participation de la nature mortelle à l’immortalité et ses modalités, semble donc<br />

commencer et s’arrêter avec la description du métabolisme corporel. Corrélativement, l’âme de ce<br />

passage du Banquet est présentée comme sujet d’émotions et de connaissances, si du moins la notion<br />

de sujet peut être maintenue, comme un principe essentiellement cognitif et non comme principe de<br />

vie. C’est un principe proprement spirituel, faisant de nous des personnes et non des choses.<br />

D’ailleurs, puisque Diotime, peu avant notre passage, oppose la fécondité selon le corps et<br />

celle selon l’âme (206b), il est évident qu’une telle âme ne saurait condescendre à aucune fonction<br />

nutritive. La multiplication des individus au sein de chaque espèce ne la concerne pas directement.<br />

L’âme ainsi conçue est plus proche de celle de Descartes que de celle d’Aristote.<br />

b/ Le soi du corps : proclamé mais introuvable<br />

L’autre au cœur du même<br />

Ensuite, en ce qui concerne le corps pris en lui-même, hors de son rapport avec l’âme, Diotime n’est<br />

pas très claire sur le degré d’altérité qui en réalité, pour ce que l’on appelle un « même » être vivant,<br />

sépare un corps vivant instantané des corps à peu près semblables qui le précèdent et le suivent<br />

immédiatement au cours du temps. Y a-t-il une discontinuité ontologique absolue, chaque corps étant<br />

numériquement distinct de tous les autres, ainsi que le terme héteron (ἕτερον, 207d 3) le laisse penser,<br />

ou bien une discontinuité ontologique relative, concernant seulement le contenu du corps mais non le<br />

contenant : au cours du temps, les éléments qui sont « dans » le corps — sang, cheveaux, os — se<br />

renouvèlent mais il semble qu’il y ait toujours une sorte d’enveloppe qui demeure tant que le corps est<br />

en vie. Après tout, les Formes intelligibles demeurent non seulement identiques à elles-mêmes, mais<br />

aussi identiques « sous tout rapport ». Le corps pourrait donc s’immortaliser en demeurant identique à<br />

lui-même sous certains rapports seulement, conservant un noyau d’être immuable au moins pour toute<br />

la durée de notre vie tandis que les propriétés qualitatives et quantitatives glisseraient en surface,, et la<br />

différence entre l’immortalité imparfaite de la nature mortelle et l’immortalité parfaite de l’intelligible<br />

serait encore sauve. L’hypothèse de la discontinuité relative pourrait alors aller jusqu’à la<br />

reconnaissance de la permanence d’une chôra toujours identique à soi au fond d’elle-même malgré ses<br />

altérations qualitatives, comme dans le Timée ; mais alors l’identité déborderait le vivant individuelle<br />

pour englober tout corps possible. Il ne s’agirait plus de l’identité de tel corps plutôt que de tel autre<br />

corps. L’hypothèse de la discontinuité ontologique relative doit donc elle-même être posée de manière<br />

relative. Diotime, apparemment, n’abandonne pas tout à fait l’idée qu’il y a un « soi » (ἐν αὑτῷ, 207d<br />

7) de ce corps, et donc une identité — à moins que cette thèse ne soit qu’une illusion nécessairement<br />

produite par tout discours au sujet du corps, illusion à laquelle Diotime elle-même n’adhère pas et<br />

contre laquelle tout lecteur philosophe devrait se défendre. Si l’on suit les paroles de Diotime étape<br />

par étape, mot à mot, à défaut d’une « mêmeté » individuelle impliquant la permanence d’un contenu<br />

chosal, il y aurait finalement au moins une « ipséité » du vivant, dont l’âme pourtant ne serait pas le<br />

4 Cf. Phèdre, 246c, trad. Robin modifiée : « Ce qu’on a appelé vivant, c’est cet ensemble d’une âme (immortelle) et d’un<br />

corps solidement ajusté, et il a reçu la dénomination de mortel. Quant à celle d’immortel, il n’est rien qui permette d’en<br />

rendre raison d’une façon raisonnée ; mais nous foregons, sans en avoir ni expérience ni suffisante intelligence, une idée du<br />

dieu : un vivant immortel qui possède une âme, qui possède aussi un corps, mais tous deux naturellement unis pour<br />

toujours. »<br />

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