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Symposium - AIC

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Alexis Pinchard<br />

dépasser la mesure. Il y a une chiasme. Dans le cas du sensible, le philosophe devra surmonter la<br />

tendance affirmative de la doxa, sans toutefois la renverser complètement. Accorder l’identité plénière<br />

aux vivants sensibles, ce serait encore donner trop d’exactitude au sensible. Identité et altérité n’ont<br />

pas exactement le même sens dans le sensible et dans l’intelligible. De la même manière, quand le<br />

philosophe a admis l’existence des Formes intelligibles, il savait que cette existence ne pouvait<br />

signifier exactement la même chose que pour le sensible qui l’imite imparfaitement. La différence<br />

entre le mode d’être du sensible et celui de l’intelligible se joue à la fois sur la relation de l’étant à ses<br />

propres déterminations et sur sa position nue.<br />

Enfin, qu’en est-il de l’âme ? En quel sens, et à quel degré reste-t-elle identique à elle-même,<br />

elle qui est intermédiaire entre le sensible et l’intelligible ? Pour produire des jugements d’identité à<br />

propos du sensible comme à propos de l’intelligible, ne faut-il pas que sa manière d’être identique soit<br />

ni tout à fait étrangère au sensible ni tout à fait étrangère à l’intelligible ? Mais le fait que toutes les<br />

manières d’être identiques ne soient pas identiques entre elles, n’est-ce pas contradictoire ? L’identité<br />

n’exclut-elle pas par nature les degrés et les approximations ?<br />

En tout cas, c’est vers un tel renversement de la doxa que nous oriente le texte suivant, extrait<br />

du discours de Diotime dans le Banquet :<br />

Εἰ τοίνυν, ἔφη, πιστεύεις ἐκείνου εἶναι φύσει τὸν ἔρωτα, οὗ πολλάκις ὡµολογήκαµεν, µὴ θαύµαζε.<br />

ἐνταῦθα γὰρ τὸν αὐτὸν ἐκείνῳ λόγον ἡ θνητὴ φύσις ζητεῖ κατὰ τὸ δυνατὸν ἀεί τε εἶναι καὶ ἀθάνατος.<br />

δύναται δὲ ταύτῃ µόνον, τῇ γενέσει, ὅτι ἀεὶ καταλείπει ἕτερον νέον ἀντὶ τοῦ παλαιοῦ, ἐπεὶ καὶ ἐν ᾧ ἓν<br />

ἕκαστον τῶν ζῴων ζῆν καλεῖται καὶ εἶναι τὸ αὐτό – οἷον ἐκ παιδαρίου ὁ αὐτὸς λέγεται ἕως ἂν<br />

πρεσβύτης γένηται· οὗτος µέντοι οὐδέποτε τὰ αὐτὰ ἔχων ἐν αὑτῷ ὅµως ὁ αὐτὸς καλεῖται, ἀλλὰ νέος<br />

ἀεὶ γιγνόµενος, τὰ δὲ ἀπολλύς, καὶ κατὰ τὰς τρίχας καὶ σάρκα καὶ ὀστᾶ καὶ αἷµα καὶ σύµπαν τὸ σῶµα.<br />

καὶ µὴ ὅτι κατὰ τὸ σῶµα, ἀλλὰ καὶ κατὰ τὴν ψυχὴν οἱ τρόποι, τὰ ἤθη, δόξαι, ἐπιθυµίαι, ἡδοναί, λῦπαι,<br />

φόβοι, τούτων ἕκαστα οὐδέποτε τὰ αὐτὰ πάρεστιν ἑκάστῳ, ἀλλὰ τὰ µὲν γίγνεται, τὰ δὲ ἀπόλλυται.<br />

πολὺ δὲ τούτων ἀτοπώτερον ἔτι, ὅτι καὶ αἱ ἐπιστῆµαι µὴ ὅτι αἱ µὲν γίγνονται, αἱ δὲ ἀπόλλυνται ἡµῖν,<br />

καὶ οὐδέποτε οἱ αὐτοί ἐσµεν οὐδὲ κατὰ τὰς ἐπιστήµας, ἀλλὰ καὶ µία ἑκάστη τῶν ἐπιστηµῶν ταὐτὸν<br />

πάσχει. ὃ γὰρ καλεῖται µελετᾶν, ὡς ἐξιούσης ἐστὶ τῆς ἐπιστήµης· λήθη γὰρ ἐπιστήµης ἔξοδος, µελέτη<br />

δὲ πάλιν καινὴν ἐµποιοῦσα ἀντὶ τῆς ἀπιούσης µνήµην σῴζει τὴν ἐπιστήµην, ὥστε τὴν αὐτὴν δοκεῖν<br />

εἶναι. τούτῳ γὰρ τῷ τρόπῳ πᾶν τὸ θνητὸν σῴζεται, οὐ τῷ παντάπασιν τὸ αὐτὸ ἀεὶ εἶναι ὥσπερ τὸ<br />

θεῖον, ἀλλὰ τῷ τὸ ἀπιὸν καὶ παλαιούµενον ἕτερον νέον ἐγκαταλείπειν οἷον αὐτὸ ἦν. ταύτῃ τῇ µηχανῇ,<br />

ὦ Σώκρατες, ἔφη, θνητὸν ἀθανασίας µετέχει, καὶ σῶµα καὶ τἆλλα πάντα· ἀθάνατον δὲ ἄλλῃ. µὴ οὖν<br />

θαύµαζε εἰ τὸ αὑτοῦ ἀποβλάστηµα φύσει πᾶν τιµᾷ· ἀθανασίας γὰρ χάριν παντὶ αὕτη ἡ σπουδὴ καὶ ὁ<br />

ἔρως ἕπεται.<br />

Or donc, dit-elle, si tu es bien convaincu que l’objet de l’amour est par nature celui que nous disons et<br />

sur lequel, à plusieurs reprises, nous nous sommes mis d’accord, il n’y a pas là (le zèle déployé par<br />

tous les vivants pour se reproduire et conserver leur progéniture) de quoi s’émerveiller ! Car dans le<br />

cas présent le raisonnement sera le même que dans l’autre : la nature mortelle cherche, dans la mesure<br />

de ses possibilités, à être toujours et à être immortelle ; or le seul moyen dont elle dispose pour cela,<br />

c’est le processus de naissance, en tant que perpétuellement à la place de l’ancien elle laisse quelque<br />

chose d’autre, qui est tout nouveau. À preuve cela même qu’on appelle la vie individuelle de chaque<br />

vivant et son identité à soi, c’est-à-dire le fait que depuis sa jeunesse jusqu’au temps où il sera devenu<br />

vieux, on dit qu’il est le même ; oui, en vérité, ce [vivant] qui n’a jamais en lui les mêmes choses, on<br />

l’appelle pourtant le même ! alors qu’au contraire perpétuellement, mais non sans certaines pertes, il<br />

se renouvelle dans ses cheveux, dans sa chair, dans ses os, dans son sang, bref dans son corps tout<br />

entier.<br />

En outre, ce n’est pas vrai seulement du corps, mais aussi, en ce qui concerne l’âme, de nos<br />

dispositions, de notre caractère, des opinions, penchants, des plaisirs, des peines, des craintes ; car en<br />

chaque individu rien de tout cela ne se présente identiquement : il y en a au contraire qui naissent et<br />

d’autres qui se perdent. Ce qu’il y a encore de beaucoup plus déroutant que tout cela, c’est ce qui se<br />

passe pour les connaissances. Non seulement il y en a qui naissent en nous et d’autres qui se perdent,<br />

si bien que pour ce qui est de nos connaissances nous ne sommes non plus jamais les mêmes ; mais en<br />

outre chaque connaissance individuelle a le même sort. Car ce que l’on appelle «étudier » suppose que<br />

la connaissance puisse nous quitter ; l’oubli est en effet le départ d’une connaissance, tandis qu’en<br />

revanche l’étude, créant en nous un souvenir tout neuf à la place de celui qui se retire, sauve la<br />

connaissance et fait qu’elle semble être la même.<br />

C’est, vois-tu, de cette façon que se sauvegarde tout ce qui est mortel : non pas en étant à<br />

jamais totalement identique comme l’est le divin, mais en faisant que ce qui se retire, et que son<br />

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