30.09.2013 Views

Symposium - AIC

Symposium - AIC

Symposium - AIC

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Michel Fattal<br />

intéressante à cet égard, car elle permet de révéler l’existence de cette philosophie de la relation qui<br />

s’exerce et s’affirme à tous les niveaux du dialogue : dans le thème et la forme littéraire choisis, dans<br />

la relation pédagogique unissant le maître au disciple, dans la représentation que Platon se fait de la<br />

philosophie et du philosophe, dans sa conception du savoir et de l’ignorance, dans sa représentation de<br />

l’être et du cosmos, et surtout dans le discours (logos) de Diotime sur l’amour.<br />

Si le dialogue socratique du Ménon n’évoque pas d’une manière explicite la doctrine des<br />

Idées, le Phédon et le Banquet, quant à eux, ne manquent pas d’affirmer, avant la République et le<br />

Phèdre, une conception des Essences séparées. L’exemple du beau corps et de la Beauté en soi,<br />

évoqué précédemment et qui marque cette différence entre le sensible et l’intelligible, est justement<br />

donné par Platon, dans le Banquet, dans le célèbre passage consacré à ce que les commentateurs<br />

appellent habituellement la « dialectique ascendante » conduisant à la vision du Beau (210 a sq.). La<br />

doctrine des Idées est explicitement mise en place dans le Phédon et cette mise en place d’un<br />

intelligible distingué et séparé d’un sensible, qui apparaît également dans le Banquet, appelle<br />

automatiquement et nécessairement la mise en place d’une philosophie de la relation qui se déploie et<br />

se développe merveilleusement bien à travers les notions de « banquet » ou de « beuverie commune »<br />

(sumposion), de discours (logos), d’amour (erôs), de passage (poros), d’intermédiaire (metaxu), de<br />

milieu (meson), de philosophie (philosophia), de philosophe (philosophos), etc. Cette philosophie de<br />

la relation qui est mise en œuvre à tous les niveaux du dialogue permettrait de résoudre les difficultés<br />

soulevées par une philosophie qui instaure une forme de verticalité et de transcendance induisant une<br />

séparation entre des niveaux différents de réalités. Essayons de voir comment Platon est amené à<br />

déployer, dans le Banquet, une telle philosophie de la relation et du lien.<br />

I. Le titre, le thème et la forme littéraire du dialogue<br />

En Grèce ancienne, le sumposion, qui désigne la « beuverie commune », suit habituellement le<br />

deipnon, c’est-à-dire qu’il suit le « repas ». Le sumposion constitue donc le second moment d’un<br />

banquet au cours duquel les convives boivent du vin, parlent sur un thème, chantent et font des<br />

libations aux dieux (176 a). Tous les convives sont ainsi réunis, reliés les uns aux autres, au cours de<br />

la « beuverie commune » qu’ils partagent. Tous les convives se rassemblent également autour d’un<br />

logos commun (discours) qu’ils vont tenir et autour d’un thème commun qu’ils vont aborder et dont<br />

ils vont faire l’éloge. Le sumposion est manifestement « ce qui met en relation » les convives à travers<br />

« la mise en commun » (sun : avec, ensemble) de plusieurs choses : le vin, le logos (discours) et<br />

l’amour (thème). C’est à Phèdre qu’incombe de présider le sumposion et de fixer l’ordre du jour (177<br />

c-e). C’est à Phèdre, qui occupe la première place (prôton) et qui est qualifié de « père du discours »<br />

(patêr tou logou) 10 , que revient la prérogative de prononcer le premier discours qui sera « un éloge de<br />

l’amour » (177 d). Le thème du sumposion est donc l’amour (eros), et la forme du discours (logos) qui<br />

porte sur l’amour, et dont Phèdre est le « père », est celle de l’éloge.<br />

Mais pourquoi pratiquer la forme de l’éloge (epainos, enkômion) ? L’éloge vise à honorer un<br />

dieu (177 c). Or, comme pour la majorité des convives, l’amour est un dieu, il était nécessaire de se<br />

rassembler pour que chacun prononce à tour de rôle un « discours » (logos) qui serait une louange de<br />

ce dieu qu’est l’Amour. La louange ou l’hommage rendu, qui constitue la forme littéraire adoptée par<br />

la majorité des orateurs, est par conséquent un logos qui porte sur le thème Eros. Le lecteur peut<br />

constater que le discours de Diotime sur l’amour (sixième discours) tranche par rapport aux cinq<br />

premiers discours de Phèdre, de Pausanias, d’Eryximaque, d’Aristophane et d’Agathon qui célèbrent<br />

tous l’amour en tant que divinité. L’amour est non seulement un dieu pour les auteurs des cinq<br />

premiers discours, mais il est également beau. Le discours de Diotime, la prêtresse de Mantinée, vise<br />

à montrer que l’amour n’est ni un dieu, ni beau. Son objectif est de montrer les liens étroits qui<br />

unissent l’amour à la philosophie. Mais avant d’approfondir la conception que Diotime se fait de<br />

l’amour-philosophe, essayons de voir en quoi le titre du dialogue, le thème choisi et la forme littéraire<br />

adoptée relèvent de ce qu’on pourrait appeler une pensée de la relation.<br />

On a vu que le sumposion, le logos envisagé sous le registre littéraire de l’éloge (epainos,<br />

enkômion) et le thème de l’amour (eros) « rassemblent » tous les convives autour de la table du<br />

banquet. Tous les convives partagent une même boisson, le vin, et un même discours qui est une<br />

louange de l’amour. Le vin, le discours et l’amour permettent aux convives d’entrer en relation les uns<br />

avec les autres et d’avoir un objectif commun qui les unit et les réunit. Or, il faut voir que le thème<br />

fédérateur choisi comme objet central du logos est lui-même marqué du sceau de la relation. L’amour<br />

10 Il est le « père du discours » (patêr tou logou), car il sera à l’origine d’autres discours sur l’amour (cf. Platon, Le Banquet,<br />

Traduction inédite, introduction et notes par L. Brisson, p. 188, n. 91).<br />

211

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!