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Symposium - AIC

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Michel Fattal<br />

(tinos) qu’on ne possède pas (la beauté morale et intellectuelle) et qu’on recherche à travers l’amour<br />

« de quelqu’un » (Socrate). Logos et eros sont donc en consonance parfaite dans la mesure où l’un et<br />

l’autre sont « en rapport » avec quelque chose et avec quelqu’un. La relation discursive ou dialogique<br />

unissant les interlocuteurs se fait sur la base d’un thème fédérateur ou d’un objet qui se définit luimême<br />

par la relation et la synthèse 16 .<br />

Essayons de voir maintenant comment le discours de Diotime sur l’amour, qui tranche par<br />

rapport aux discours précédents qui faisaient d’eros un dieu beau et délicat et qui faisaient de l’amour<br />

masculin un modèle pédagogique, illustre merveilleusement bien cette philosophie de la relation.<br />

Cette philosophie de la relation où l’amour est amour du beau et du bien dont on est dépourvu, et qui<br />

fait intervenir une représentation féminine de l’amour induisant la procréation et le désir<br />

d’immortalité, apparaît à différents niveaux du discours de Diotime qui s’étend de 201 d à 212 c.<br />

Cette philosophie de la relation trouve concrètement son illustration dans les développements que<br />

Diotime consacre à la figure de l’eros-démon, au mythe de la naissance d’Eros, et à travers ce qu’on<br />

pourrait appeler l’initiation aux mystères de l’amour.<br />

II. Eros-démon, un intermédiaire entre les dieux et les hommes, le savoir et<br />

l’ignorance<br />

Sur la fin de son discours sur l'amour, Diotime s'adressant à Socrate, affirme que c'est dans la<br />

contemplation de la beauté en elle-même (211 d) que la vie humaine vaut la peine d'être vécue. C'est<br />

donc dans la contemplation des Formes que réside la valeur d'une vie de philosophe. La puissance de<br />

l'amour, symbolisant le philosophe, constitue le moyen d'accès idéal au monde des Formes. Plus<br />

exactement, l’eros (amour)-philosophe, qui est lui-même identifié à la figure mythique du démon,<br />

représente l’intermédiaire incontournable reliant le monde d’en haut au monde d’en bas. Mais qu'estce<br />

que le démon ? Dans la représentation populaire, le démon désigne une « puissance divine », une «<br />

puissance distributive » ou « une divinité du destin » 17 . Ici, dans le Banquet, le démon n'est pas une<br />

divinité, mais un intermédiaire (metaxu) entre les dieux et les hommes. Il est le médiateur, le moyen<br />

terme de la relation qui permet de combler le vide résultant de sa théorie de la séparation (chôrismos).<br />

Cette conception de l'eros-démon qui n'est pas un dieu, mais à un intermédiaire ou une médiation, et<br />

plus exactement une puissance de relation, symbolise le philosophe et la philosophie qui se charge de<br />

colmater les brèches du chôrismos séparant le sensible de l'intelligible, le corps de l’âme. L'amourdémon,<br />

qui relie et unit les êtres, est une puissance dynamique qui, en tant qu'intermédiaire et moyen<br />

terme, établit une relation entre le monde d'ici-bas et le monde d'en-haut, entre le la terre et le ciel.<br />

Notons au passage que dans le Phèdre, c'est l'âme humaine qui possède cette fonction médiatrice<br />

dynamique, cette puissance de relation. Le Timée envisage l’âme humaine à l'image de l'Ame du<br />

monde comme un mélange de divisible et d’indivisible, de l'autre et du même, du multiple et de l’un.<br />

Cette représentation dynamique et synthétique de l'âme comme intermédiaire et médiatrice sera<br />

reprise et développée par Plotin jusqu'à Damascius. L'amour dans le Banquet et l’âme dans le Phèdre<br />

possèdent donc l'un et l'autre cette fonction médiatrice et relationnelle, ou représentent ce moyen<br />

d'accès dynamique vers les Formes, l'indivisible, le beau et le bien. L'amour est donc l'auxiliaire (sunergon)<br />

dynamique de l’âme du philosophe désireuse d'accéder au Beau et au Bien qu'elle ne possède<br />

pas. L'âme, située à mi-chemin entre le haut et le bas, est susceptible de s'élever vers les Formes<br />

comme elle peut être capable de chuter dans le sensible. La figure mythique de l'eros-démon permet<br />

donc à Platon de « lier » des domaines, des ordres ou des sphères séparés : les hommes et les dieux, le<br />

corps et l'âme, le bas et le haut, la terre et le ciel, l'ignorance et le savoir, l'anthropologique et le<br />

théologique. Elle offre plus exactement à Platon une solution au problème du dualisme induit par sa<br />

philosophie de la séparation puisqu'elle se propose d'assurer le « passage » (poros) d'un domaine à<br />

l'autre.<br />

Fattal, Logos, pensée et vérité dans la philosophie grecque, op. cit. ; trad. it. Ricerche sul logos, op. cit.<br />

16 Sur l’amour en tant que synthèse, voir L. Robin, La Théorie platonicienne de l’amour, Paris, PUF, 1964 (1909 1 ère éd.).<br />

17 Daimôn est un dérivé de la racine da(i)- qui a donné en grec daiomai (partager, diviser, distribuer), d’où le sens de<br />

« puissance distributive » ou de « divinité du destin », sachant que l’heimarmenê (destin) elle-même provient du verbe<br />

meiromai (obtenir en partage, diviser, séparer). Voir à ce sujet, A. Timotin, La Démonologie platonicienne. Histoire de la<br />

notion de daimôn de Platon aux derniers néoplatoniciens, Leiden-Boston, Brill, « Philosophia Antiqua 128 », 2012, p. 13 sq.<br />

Sur les démons et la notion d’intermédiaire en Grèce et chez Platon, voir J. Ries et H. Limet (éds), Anges et démons, Actes<br />

du colloque de Liège et de Louvain-la-Neuve, 25-26 novembre 1987, Homo religiosus 14, Louvain-la-Neuve, 1989 ; C.<br />

Calame (éd.), Figures grecques de l’intermédiaire, Etudes de Lettres, Lausanne, 1992 ; M. Détienne, La Notion de Daimôn<br />

dans le pythagorisme ancien, Paris, Les Belles Lettres, 1963 ; Ph. Hoffmann, « Le sage et son démon. La figure de Socrate<br />

dans la tradition philosophique et littéraire », Annuaire de l’EPHE, 94 (1985-1986), pp. 417-436 ; 95 (1986-1987), pp. 295-<br />

305 ; 96 (1987-1988), pp. 272-281 ; J. Souilhé, La Notion platonicienne d’intermédiaire dans la philosophie des dialogues,<br />

Paris, Librairie Félix Alcan, 1919.<br />

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