Symposium - AIC

Arnaud Macé
à cette évaluation contraire que les âmes et les actes, et les objets des sciences moins que les âmes et
les actes : ce serait la raison de la logique d'éminence que nous avons suivi : plus de stabilité peut-être
dans les propriété présentées par les âmes, et plus encore dans celles des objets mathématiques. Ce
n'est qu'une hypothèse.
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3/ La forme du Beau n'a aucune des caractéristiques portées par l'ensemble des choses belles
Il faut donc conclure que le beau lui-même n'a aucun de traits des choses belles. La négation du
premier groupe de propriétés le rend simplement inaccessible au changement. La négation du second
groupe le libère de toute forme de conflit des apparences. Mais Diotime ne procède pas seulement à
une négation des deux types de propriétés qui caractérisent l'ensemble des choses belles, elle procède
aussi à la négation des groupes de propriétés qui caractérisent aussi chacun des domaines de choses
belles, comme nous l'avons vu : le domaine corporel, le domaine psychique et celui des sciences. La
beauté ne se manifeste pas sous les traits d'un visage ou d'un raisonnement, elle n'est pas la beauté que
l'on peut lire dans le ciel. Elle n'a aucun des traits que l'un de ces types de chose pourraient manifester.
Or c'est bien sa seule possibilité d'échapper à la relativité des perceptions que manifestent tout traits
descriptifs. On comprend ces passages des dialogues qui affirment que nous n'avons jamais vu la
beauté. Pensons au Phédon :
Τί δὲ δὴ τὰ τοιάδε, ὦ Σιµµία; φαµέν τι εἶναι δίκαιον αὐτὸ ἢ οὐδέν;
Φαµὲν µέντοι νὴ Δία.
Καὶ αὖ καλόν γέ τι καὶ ἀγαθόν;
Πῶς δ' οὔ;
Ἤδη οὖν πώποτέ τι τῶν τοιούτων τοῖς ὀφθαλµοῖς εἶδες;
Οὐδαµῶς, ἦ δ' ὅς. 35
Affirmons-nous qu'il existe quelque chose qui est la justice même, ou qu'il n'y a rien de tel ? - Par
Zeus oui, nous l'affirmons ! - Et ne disons-nous pas encore qu'il y a quelque chose de beau et quelque
chose de bon ? - Comment ne le dirions-nous pas ? - Et alors, as-tu déjà vu, de tes yeux vu, l'une de
ces choses ? - Jamais, dit-il.
Or il n'y a pas que le bon et le juste que nous n'ayons jamais vus, de nos yeux vus :
Ἀλλ' ἄλλῃ τινὶ αἰσθήσει τῶν διὰ τοῦ σώµατος ἐφήψω αὐτῶν; λέγω δὲ περὶ πάντων, οἷον µεγέθους
πέρι, ὑγιείας, ἰσχύος, καὶ τῶν ἄλλων ἑνὶ λόγῳ ἁπάντων τῆς οὐσίας ὃ τυγχάνει ἕκαστον ὄν· 36
Mais n'est-ce pas par une autre sensation que celle qui se fait par le corps que tu as touché ces
choses ? Je veux parler de toutes ces choses comme la grandeur, la santé, la force, en un mot de ce qui
relève de la réalité que chacune de ces formes se trouve être.
Différencions donc deux choses : personne n'a jamais vu la grandeur, la beauté, la santé ou la force,
mais l'on pourrait avoir vu la beauté d'une fleur, senti la force d'un taureau, etc. La Forme en tant que
telle ne se manifeste pas. En réalité, ce que l'on a vu, ce sont d'autres propriétés – celles qui imitent la
Forme. Est-ce que la fleur est belle « parce qu'elle a une charmante couleur ou à cause de ses formes
(ἢ χρῶµα εὐανθὲς ἔχον ἢ σχῆµα) » 37 ? Non, ces choses ne sont que des produits de la participation à la
Forme du Beau qui, elle, est au-delà de toutes ces déterminations. La Forme de la beauté recule
derrière la diversité des caractéristiques que présentent les choses belles : elle est seulement traduite
dans d'autres propriétés qui en assurent l'imitation, propriétés éminemment variables selon les
supports – rondeur des marmites, grâce des visages humains, douceur des mots et des âmes, élégance
des âmes, ordre du ciel. Dès lors, un champ de participation doit être considéré comme une classe
d'une nature tout à fait particulière. Si on peut la définir comme une classe, c'est-à-dire un ensemble
de valeurs de x vérifiant la description « x est Beau », il faut admettre que c'est une classe étonnante,
dans la mesure où il n'y a rien dans le contenu descriptif en question que l'on puisse trouver
d'homogène. L'ensemble qui fait le champ de participation d'une telle Forme est un ensemble mouvant
et hétérogène. Un véritable océan.
On pourrait prolonger la réflexion en considérant que c'est là une manière très vigoureuse de
répondre à l'objection qu'énoncera un jour Aristote à propos du Bien platonicien (Ethique à
Nicomaque I 4) : à chercher une unité qui enveloppe des choses qui se trouvent dans de multiples
35 Phédon, 65d4-10 Burnet.
36 Ibid., 65d11-e1.
37 Ibid. 100d1.