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Symposium - AIC

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Alexis Pinchard<br />

mais il n’y a pas de transfert d’un contenu réel positif car ce quelque chose c’est la mort du père,<br />

condition pour que le souvenir en soit transmis de génération en génération. L’immortalisation par la<br />

gloire qu’évoque Diotime pour ceux dont la fécondité est d’ordre spirituel, poètes ou législateurs,<br />

nous rappelle que, au niveau des Petits Mystères, la continuité de la vie est paradoxalement affaire<br />

deuil car elle est affaire de mémoire à défaut de réminiscence. L’immortalité se réalise alors, dans la<br />

faible mesure où elle est accessible au mortel, au détriment de la conservation : tel est le lot de ceux<br />

qui sont, dès l’origine, un mélange d’être et de non-être. Leur prolongement est aussi contradictoire<br />

que leur existence, à la limite du pensable, recélant une vérité par ce qu’il laisse deviner plutôt par ce<br />

qu’il est en lui-même. Diotime doit trouver dans l’abolition des propriétés et de l’existence du soi<br />

l’affirmation ultime de ce dernier comme facteur d’unité relative au cours du temps, car si il y avait<br />

une étrangeté et une extériorité absolue entre deux corps successifs au sein de ce qui semble un même<br />

individu vivant, en quoi cette succession de corps constituerait-elle une stratégie, fût-elle imparfaite,<br />

pour qu’il s’immortalise lui-même ? Il faut bien, pour la cohérence du discours de Diotime, que d’une<br />

certaine manière l’ancien se prolonge dans le nouveau, au moins par le fait que l’un jaillit de l’autre,<br />

même si par la suite, dans la mémoire d’un observateur lucide, ils sont numériquement distincts. Eros<br />

n’ouvre pas seulement l’âme humaine sur la transcendance de l’intelligible en tant que telle, sans la<br />

rabaisser, ainsi que le montreront les Grands Mystères finalement dévoilés par Diotime ; il pousse<br />

aussi tout étant sensible à se transcender, à se perdre pour enfin conserver de soi ce qui peut l’être, ne<br />

serait-ce justement que cet élan périlleux. La perte de soi garantit ici que, tout en suivant une<br />

impulsion interne, c’est bien au-delà de ce que l’on était et de notre finitude que l’on passe. Vouloir se<br />

conserver de manière immobile, à la manière de l’intelligible, en se renfermant sur une identité morte,<br />

un simple stock d’éléments ou de propriétés, n’aboutirait pour le vivant qu’à l’annihilation.<br />

En somme, nous retrouvons ici les problèmes « puérils » évoqués dans le Philèbe (14d).<br />

Comment une même réalité sensible peut-elle être dite à la fois une et multiple ? Faut-il faire de<br />

l’unité une simple apparence ? Mais à lui refuser toute unité véritable, c’est la multiplicité même des<br />

individus regroupés dans l’espèce que l’on ruine, car il n’y a de multiple que là où l’on peut compter<br />

des unités, et finalement on ruine aussi la réalité de la Forme intelligible qui devait faire la synthèse de<br />

cette mutiplicité. Faut-il dire qu’elle participe à l’un sous un certain rapport et au multiple sous un<br />

autre ? Mais alors on ne comprendra plus qu’elle se repoduise, c’est-à-dire se multiplie elle-même à<br />

partir d’elle-même en tant qu’elle-même. Il n’est pas certain que la solution de ces apories soit aussi<br />

facile que ce que revendiquera le Philèbe.<br />

c/ Eros comme principe d’identité ?<br />

Le vrai principe qui fait l’unité du vivant dans le temps n’est pas un substrat inerte dont on pourrait<br />

espérer donner un concept stable et clos, ce n’est pas une matière supportant ultimement des qualités<br />

sensibles ou intelligibles. Car Platon sait bien qu’un tel substrat, tel un « objet transcendantal = X »<br />

(Kant, Critique de la raison pure, passim), n’est postulé que pour faire l’unité des phénomènes et ne<br />

peut être connue en lui-même hors de sa seule fonction synthétique par rapport à notre propre<br />

perception en tant que perception objective ; autrement dit, l’étendue qui sert de matrice au devenir,<br />

contrairement aux Formes intelligibles qui sont connues en elle-mêmes et par elle-mêmes, n’est<br />

connue que par un « raisonnement bâtard » (Timée, 52b) partant du sensible et servant l’impérieux<br />

besoin d’unité de la raison. Il s’agit d’ailleurs d’une simple représentation, comme un « songe », et<br />

non d’une connaissance capable de déterminer l’être même de son objet. En fait , la notion de substrat<br />

permanent ne permet pas d’affirmer que le vivant reste identique à lui-même malgré le devenir<br />

apparent, mais au contraire suppose une telle identité. C’est en postulant une unité qu’on en vient à<br />

imaginer le substrat identitaire, car ce substrat demeure en lui-même à la fois invisible et<br />

inintelligible. Or, au nom de quoi postuler l’unité du vivant sensible ? Cette unité, en vérité, n’est pas<br />

en lui mais dans notre perception de lui. L’unité qui se traduit par la supposition d’une étendue<br />

permanente sous la diversité du devenir des qualités sensibles n’a donc pas de valeur ontologique ;<br />

c’est seulement une condition de possibilité notre expérience en tant qu’expérience d’objets stables et<br />

différentiables les uns des autres.<br />

Seul l’Amour, qui n’est pas le reflet de notre désir d’unité au sein de la perception mais sa<br />

cause, est capable de garantir, au niveau ontologique — même s’il s’agit d’une ontologie en mode<br />

mineur —, une sorte d’identité au vivant, car Eros ne se tient pas en deça de ce qu’il lie, comme s’il<br />

était un terme encore autre que les moments et les éléments à lier, mais Eros est parfaitement<br />

immanent à ce qu’il lie. Car si chaque moment du corps enfante un autre moment du corps, si chaque<br />

connaissance enfante une autre connaissance dans la même âme, c’est qu’elle se trouve suffisamment<br />

bonne et belle pour s’aimer elle-même. Ainsi, en se procréant lui-même avec lui-même, le corps<br />

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