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Symposium - AIC

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Un Banquet revisité :<br />

l’érotisme paradoxal de Platon et de Lucien<br />

Ruby Blondell - Sandra Boehringer<br />

Le but de cette communication est de tenter de porter un regard renouvelé sur le Banquet de Platon à<br />

partir de la lecture d’un dialogue humoristique et paradoxal composé par Lucien. Lucien est un<br />

sophiste du IIe siècle, un rhéteur et un satiriste particulièrement prolifique, de langue maternelle<br />

syriaque et écrivant en grec. Ses nombreuses productions comprennent un ensemble de 15 courtes<br />

saynètes, connues sous le nom de Dialogues des courtisanes, qui semblent déployer un catalogue des<br />

personnages-types du monde du commerce sexuel dans l’Athènes de l’époque de Platon. Dans son<br />

œuvre, Lucien reconnaît les origines philosophiques de la forme dialogique qu’il a choisie, rendant<br />

ainsi son public sensible aux influences platoniciennes. Pourtant, la critique contemporaine a<br />

généralement exclu de cette influence les Dialogues des courtisanes, en raison de leur caractère<br />

comique et de leur thème (les femmes et la sexualité).<br />

Nous montrerons aujourd’hui que cette exclusion ne se justifie pas : non seulement Platon était<br />

lui-même un maître du « jeu sérieux » mais, de plus, le thème du Dialogue des courtisanes est en lien<br />

direct avec l’intérêt du philosophe pour les questions érotiques, les mises en scènes des relations<br />

érotiques et l’érotisation des conversations philosophiques. Une étude serrée du dialogue 5 mettra en<br />

évidence le fait qu’il n’est pas possible de comprendre l’œuvre de Lucien sans prendre en compte<br />

l’œuvre de Platon (et surtout Le Banquet) ; inversement, nous pensons que la parodie de Lucien nous<br />

permet de mieux saisir certains aspects de l’érotique platonicienne.<br />

Le dialogue 5 est un court dialogue, quasi socratique : il s’ouvre sur une question (portant sur<br />

une relation sexuelle). La courtisane Klonarion s’adresse à son amie et courtisane Léaina : elle a<br />

entendu dire que Mégilla, une riche femme de Lesbos, s’est prise d’amour pour Léaina (le verbe eran<br />

a un sens érotique sans équivoque) et qu’elle « couchent ensemble » (le verbe suneinai est ambigu et a<br />

également un sens philosophique), faisant toutes deux « on ne sait quoi ». Perplexe, elle soumet<br />

Léaina à une série de questions – et la dernière suscite, en réponse, la description hautement érotique<br />

de la soirée que Léaina a passée avec Mégilla et une autre riche femme étrangère, la corinthienne<br />

Démonassa.<br />

Tout a commencé sous la forme d’une soirée particulièrement peu conventionnelle : une fête<br />

exclusivement féminine, où l’on boit et où l’on passe du bon temps grâce aux divertissements<br />

musicaux et érotiques typiques du symposion masculin. C’est en tant que musicienne que Léaina a été<br />

invitée, mais après qu’elle a joué, une fois nuit tombée, les deux étrangères sont ivres, et Mégilla<br />

propose à Léaina de passer la nuit avec elles deux. Commence alors la description de pratiques<br />

érotiques particulièrement inédites dans le corpus antique (les autres Dialogues des courtisanes<br />

inclus), en raison des détails et de leur précision, de l’érotisme débordant et multiforme, de la<br />

participation des trois partenaires (et non de deux) et, enfin, en raison du sexe des partenaires (toutes<br />

des femmes).<br />

La tension est à son comble quand intervient un élément imprévu : au beau milieu de l’étreinte,<br />

Mégilla enlève sa perruque – une perruque que personne n’avait préalablement remarquée – mettant à<br />

nu un crâne rasé comme celui des athlètes. Elle se présente alors en disant d’elle-même qu’elle est un<br />

beau jeune homme (kalos neaniskos), elle demande qu’on la nomme Mégillos et annonce que, jadis,<br />

elle a épousé Démonassa et que celle-ci est sa femme. Cette révélation pour le moins surprenante est<br />

le point de départ d’une discussion sur le paradoxe de l’identité de Mégilla.<br />

Léaina qui rapporte la conversation à Klonarion – il s’agit donc d’un dialogue enchâssé dans un<br />

dialogue – prend le « rôle socratique » de celui qui pose les questions. Ses questions prennent la forme<br />

d’une succession d’hypothèses destinées à expliquer le problème épistémologique auquel elle est<br />

confrontée. Léaina avance une première hypothèse en se référant à un épisode du mythe d’Achille où<br />

le jeune héros est travesti en fille, postulant que Mégilla est en réalité un homme. Mais pour confirmer<br />

sa théorie, il lui faut savoir deux autres choses. L’une de ses questions porte sur le corps (« Et est-ce<br />

que tu as ce qu’ont les hommes ? »), l’autre sur ses pratiques (« Est-ce que tu fais à Démonassa ce que<br />

font les hommes ? »). Puis Léaina, en se référant au personnage d’Hermaphrodite et donc à une<br />

possible bisexuation, émet l’hypothèse d’une malformation physique. La réponse de l’intéressée étant<br />

négative, Léaina poursuit et passe dans le domaine surnaturel : comme Tirésias qui fut transformé<br />

« de femme en homme », Mégilla aurait été métamorphosée par une divinité. La réponse étant<br />

négative, les deux femmes commencent à débattre sur ce qui fait qu’un homme est un homme. Pour

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