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Symposium - AIC

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Michel Fattal<br />

Moyen terme dynamique de la relation, médiation et intermédiaire atypique et atopique,<br />

puissance relationnelle par excellence, figure paradoxale susceptible d'orienter l'œil de l’âme vers les<br />

Formes intelligibles, telles sont les qualités du philosophe Socrate. La figure du démon, symbolisant<br />

le philosophe médiateur, est là pour combler l'intervalle et le vide entre les dieux et les hommes, et en<br />

vue d'assurer la cohésion de l'univers ou l'unité du Tout avec lui même. Sa fonction est déterminante :<br />

elle est tout autant cosmologique et physique que théologique et anthropologique. La figure de l'erosdémon<br />

médiateur ou intermédiaire se charge de mettre en relation, d'établir un contact entre les<br />

hommes et les dieux puisque « le dieu, dit Diotime, n'entre pas en contact direct avec l'homme ». «<br />

C'est par l'intermédiaire de ce démon, que de toutes manières possibles les dieux entrent en rapport<br />

avec les hommes et communiquent avec eux, à l'état de veille ou dans le sommeil. Celui qui est expert<br />

(sophos) en ce genre de choses est un homme démonique (daimonios anêr) » (203 a, trad. Brisson).<br />

Ce passage, identifiant clairement le philosophe à l’homme démonique susceptible de mettre<br />

en contact et en relation les dieux avec les hommes, s’inscrit dans la continuité de ce que Diotime dit<br />

quelques lignes plus haut en 202 d – 203 a en vue de justifier l’intervention de sa conception de<br />

l’eros-démon. Etant donné qu’eros n’est pas beau et qu’il n’est pas un dieu, l’amour ne peut qu’être<br />

« désir » des choses qui lui manquent. Il est « désir » du Beau et du Bien qu’il ne possède pas, et en<br />

tant qu’epithumia (désir) et epithumein (désirer) il incarne cet élan dynamique et passionné. N’étant<br />

pas un dieu, il est, dit-elle, un grand-démon :<br />

« Eros est un intermédiaire (metaxu) entre le mortel et l’immortel. – Socrate : Que veux-tu dire,<br />

Diotime ? – Diotime : C’est un grand-démon (daimôn megas), Socrate. En effet tout ce qui présente la<br />

nature d’un démon est intermédiaire (metaxu) entre le divin et le mortel. – Socrate : Quel pouvoir est<br />

le sien ?, demandai-je – Diotime : il interprète et il communique (hermêneuon kai diaporthmeuon) aux<br />

dieux ce qui vient des hommes, et aux hommes ce qui vient des dieux : d’un côté les prières et les<br />

sacrifices, et de l’autre les prescriptions et les faveurs que les sacrifices permettent d’obtenir en<br />

échange. Et, comme il se trouve à mi-chemin (en mesô) entre les dieux et les hommes, il contribue à<br />

remplir l’intervalle, pour faire en sorte que chaque partie soit liée aux autres dans l’univers (to pan<br />

auto hautô xundedesthai)…Le dieu n’entre pas en contact direct avec l’homme ; mais c’est par<br />

l’intermédiaire de ce démon, que de toutes les manières possibles les dieux entrent en rapport avec les<br />

hommes et communiquent avec eux, à l’état de veille ou dans le sommeil. Celui qui est expert<br />

(sophos) en ce genre de choses est un homme démonique… » (202 d – 203 a, trad. Brisson).<br />

Ce passage rend compte de la mise en relation verticale, de haut en bas, des dieux avec les hommes,<br />

grâce à l’homme démonique et expert qu’est le philosophe, et de la mise en relation verticale, unissant<br />

de bas en haut, les hommes aux dieux, grâce à la fonction herméneutique et communicationnelle du<br />

philosophe. Diotime dira en effet de l’eros-démon qu’« il interprète et (qu’) il communique<br />

(hermêneuon kai diaporthmeuon) aux dieux ce qui vient des hommes, et aux hommes ce qui vient des<br />

dieux ». L’herméneute est un traducteur, un passeur, un transmetteur. L’âme démonique et inspirée du<br />

philosophe qui est médiatrice occupe une position privilégiée pour traduire, interpréter et mettre en<br />

relation ou tout simplement communiquer ce qui provient des hommes à destination des dieux<br />

(prières, sacrifices) et ce qui provient des dieux à destination des hommes (prescriptions et faveurs des<br />

sacrifices). Je dirais que la position centrale du philosophe qui se trouve à mi-chemin ou au milieu (en<br />

mesô) entre les dieux et les hommes, et que le statut médian de son âme démonique qui est à la fois<br />

rationnelle et inspirée, dotée d’un intellect et mue par le désir irrationnel, lui confèrent le don<br />

(inspiration) d’assurer non seulement la relation des hommes entre eux, des hommes et des dieux, du<br />

mais de sauvegarder également la cohésion du cosmos en suturant le Tout avec lui-même 18 , c’est-àdire<br />

en reliant le sensible à l’intelligible.<br />

A partir de sa théorie de l’eros-démon, Platon offre une merveilleuse solution au problème du<br />

chôrismos et évite à son système de sombrer dans le dualisme. Voilà que se trouve vérifiée notre thèse<br />

selon laquelle la mise en place de la théorie des Formes intelligibles, induisant une « séparation »<br />

entre le sensible et l’intelligible, appelle nécessairement et simultanément la mise en place d’une<br />

philosophie de la « relation » illustrée par la figure mythique de l’eros-démon qui suggère à Platon un<br />

développement tout aussi poétique et mythique au sujet de la naissance d’Eros.<br />

III.La naissance d’Eros<br />

Si le philosophe, identifié à la figure mythique de l’amour-démon, est en mesure d’établir le « lien »<br />

18 Les différentes parties de l’univers se trouvent désormais liées les unes aux autres au sein du Tout qu’on ne peut<br />

fragmenter.<br />

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