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Symposium - AIC

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L'océan du beau :<br />

les Formes platoniciennes et leur extension (210a-212a)<br />

Arnaud Macé<br />

Je souhaite explorer les implication du fait que l'ensemble des objets participant à la Forme de la<br />

beauté, dont Diotime accomplit le parcours, soit décrit (τὸ πολὺ πέλαγος τοῦ καλοῦ Banquet 210d4)<br />

comme une pleine mer, une haute mer, un πέλαγος, cette étendue sur laquelle on peut voir, à perte de<br />

vue, se lever la houle :<br />

ὡς δ' ὅτε πορφύρῃ πέλαγος µέγα κύµατι κωφῷ 1<br />

Comme lorsque la vaste mer se gonfle d'une vague muette<br />

Le terme décrit la mer moins comme une entité, différenciée par exemple de la Terre ou du<br />

ciel, comme πόντος – l'infranchissable 2 –, qu'une mer en particulier, la mer Égée ou Ionienne, et<br />

surtout, cette mer que l'on est en train de traverser, plutôt que de tranquillement suivre une côte 3 . Cette<br />

expérience, dans la poésie homérique, est aussi bien celle d'une épreuve (ce que les héros doivent en<br />

effet traverser, cf. Od. III 179) qu'une source d'analogie, comme dans le présent passage où il s'agit<br />

d'évoquer l'état d'esprit de Nestor. Les poètes l'utilise comme métaphore pour dire une quantité qui<br />

paraît si grande qu'on en voit pas le bout – en imaginant par exemple un océan sans fond de ruine 4 .<br />

Platon prolonge cet usage métaphorique, en nous nous invitant à considérer que le « beau » est une<br />

telle étendue. La première chose qu'il faut observer c'est tout simplement qu'en lui donnant un nom,<br />

même métaphorique, Platon circonscrit une chose qui n'en a pas toujours dans les dialogues, car<br />

l'océan du beau n'est pas la Forme du beau, mais plutôt ce que l'on pourrait appeler son « champ de<br />

participation », à savoir l'ensemble des items qui, à un moment donné, en viennent à participer à cette<br />

Forme. Il me semble que c'est une donnée importante de la façon dont les Formes sont présentées<br />

dans les dialogues, à savoir que l'on puisse aussi le saisir à partir de leur champ et penser leurs<br />

rapports à partir de ceux qui s'établissent entre leurs champs respectifs 5 . Le passage du Banquet que<br />

nous allons considérer fait apparaître, au gré d'une métaphore bien choisie, le caractère à la fois<br />

mouvant, sans contours fixes et fondamentalement hétérogène du champ de participation propre à la<br />

Forme du Beau. Nous verrons même que cette hétérogénéité menace la possibilité de trouver dans<br />

l'ensemble des manifestations du Beau un trait descriptif commun : la Forme du Beau unifie son<br />

champ de participation sans donner aux choses qui le compose un style identique, et en lui laissant<br />

plutôt arborer un fascinant miroitement.<br />

1/ Ouvrir l'extension : la totalisation des belles choses<br />

Étendre la classe des choses dont on parle : c'est déjà le souci d'Eryximaque après l'intervention de<br />

Pausanias : si ce dernier a péché, c'est en restreignant sa distinction des deux amours aux âmes des<br />

hommes, alors qu'elle s'applique à quantité d'autres choses, dans le corps des animaux, dans ce qui<br />

pousse sur la terre, et, pour ainsi dire, dans tout ce qui existe (186a). Diotime prolonge cette appel<br />

vers le large, en invitant chacun à étendre le champ des belles choses qu'il fréquente.<br />

a) Il y a les beaux corps (τὰ καλὰ σώµατα 210a6 et 211c4).<br />

L'initiation proposée par Diotime commence au niveau qui est aussi celui de l'Hippias Majeur.<br />

Hippias a proposé, en réponse à la question “τί ἐστι τοῦτο τὸ καλόν;” (287d3), la réponse suivante :<br />

une belle jeune femme. Le spécialiste d'Homère qu'est Hippias aurait pu donner un exemple :<br />

pourquoi pas Hermione, fille d'Hélène et de Ménélas, dont l'εἶδος, la beauté, est celle d'Aphrodite<br />

même 6 . C'est à ce niveau que commence aussi l'initiation proposée par Diotime. Il faut même qu'elle<br />

1<br />

Homère, Il. XIV 16 Allen.<br />

2<br />

ἐπ' ἀπείρονα πόντον Il. VII 350. Pour Hésiode, voir par exemple πόντος ἀπείριτος 109.<br />

3<br />

Voir Thucydide VI 13 1, 10-11 : on oppose διὰ πελάγους, en traversant directement la mer, au fait de suivre la côte, παρὰ<br />

γῆν.<br />

4<br />

Voir Eschyle Perses 433 κακῶν πέλαγος µέγα et Suppliantes 470 ἄτης δ' ἄβυσσον πέλαγος.<br />

5<br />

Nous avons proposé de lire la construction de la dialectique platonicienne en termes de rapports entre ensembles de choses<br />

participant aux Formes, voir A. Macé, L’Atelier de l’invisible, apprendre à philosopher avec Platon, Paris, Ere, 2010,<br />

particulier les chapitres II et III. Il s'agit en particulier de repérer les relations qui existent entre de tels ensembles, telles que<br />

celles que nous nommons aujourd'hui en mathématiques l'inclusion ou l'intersection.<br />

6<br />

Hermione, qui a la beauté de l'Aphrodite d'or, Ἑρµιόνην, ἣ εἶδος ἔχε χρυσῆς Ἀφροδίτης, Od. IV 14. Ce sens de beauté, en<br />

particulier de beauté du visage, est manifeste dans la plupart des occurrences archaïques, mais a laissé place, au IV e siècle, à

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