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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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Sans doute, « ces travaux sont fort légers » ; sans doute, Tressan est à nos vieux<br />

romanciers ce que Ducis est à Shakespeare ; mais tout remanieur risque <strong>de</strong> profaner,<br />

plus ou moins innocemment, ses modèles, et j’ai peut-être quelque raison secrète <strong>de</strong><br />

ménager cet élégant renouveleur <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Tristan. 248<br />

Henri Jacoubet, <strong>de</strong> son côté, note avec pertinence que les positions <strong>de</strong> Lacurne et <strong>de</strong> Tressan<br />

entre leurs sources et leur public ne sont pas <strong>de</strong> même nature :<br />

Avec moins <strong>de</strong> valeur que Lacurne, Tressan a contribué davantage à la formation du<br />

goût <strong>de</strong> son temps. Sa situation intermédiaire entre le mon<strong>de</strong> et les lettres a donné à<br />

son œuvre <strong>de</strong> vulgarisation plus <strong>de</strong> portée. 249<br />

Au contraire <strong>de</strong> Paulmy qui, ami <strong>de</strong> Lacurne et partageant son respect pour les textes anciens,<br />

tâchait <strong>de</strong> s’effacer autant que possible pour laisser la parole à sa source, Tressan, <strong>de</strong> son côté,<br />

utilise cette source pour y retremper sa plume et l’y faire rutiler. Le premier serait cet<br />

interprète mo<strong>de</strong>ste qui (sans gran<strong>de</strong> inspiration, peut-être) se met au service d’une partition ;<br />

le second, ce virtuose qui, sur <strong>de</strong>s thèmes antérieurs, bro<strong>de</strong> fantaisies et paraphrases brillantes.<br />

Le rapport à la citation est tout à fait symptomatique <strong>de</strong> cette problématique <strong>de</strong> la voix, et<br />

marque une profon<strong>de</strong> différence <strong>de</strong> nature entre les <strong>de</strong>ux miniatures, en termes<br />

d’appropriation du discours. La très large proportion <strong>de</strong> citations, encadrées par <strong>de</strong>s<br />

guillemets qui débutent chaque ligne citée 250 , donne au texte <strong>de</strong> Paulmy une apparence<br />

iconique toute différente <strong>de</strong>s quelques italiques dispersés qui marquent les citations chez<br />

Tressan.<br />

Le simple passage <strong>de</strong>s guillemets aux caractères italiques est déjà signifiant : si l’on en croit<br />

Antoine Compagnon, les guillemets indiquent clairement « que la parole est donnée à un<br />

autre, que l’auteur se démet <strong>de</strong> l’énonciation au profit d’un autre » ; ils « signalent le lieu où<br />

la silhouette du sujet <strong>de</strong> la citation se profile en retrait, comme une ombre chinoise ». A<br />

l’inverse, l’italique indique volontiers « une insistance ou une surenchère <strong>de</strong> l’auteur, une<br />

revendication <strong>de</strong> l’énonciation » 251 . L’effet très net <strong>de</strong> cela sur le texte est que dans le premier<br />

cas, la distance entre <strong>de</strong>ux sujets écrivants figure comme contrat <strong>de</strong> lecture évi<strong>de</strong>nt, tandis que<br />

dans le second, il n’y a plus guère qu’une seule voix, au sein <strong>de</strong> laquelle on entend parfois, les<br />

italiques aidant, un accent étranger, la trace d’une voix venue d’ailleurs.<br />

248 JOSEPH BEDIER, "L'Académie et nos écrivains du Moyen Âge", dans 1635-1935: Trois siècles <strong>de</strong> l'Académie<br />

Française, par les Quarante, <strong>Paris</strong>: Firmin-Didot, 1935, p. 403.<br />

249 JACOUBET, Le Comte <strong>de</strong> Tressan et les origines du genre troubadour, p. XII.<br />

250 C’est le cas pendant les premières pages ; par la suite, seuls les guillemets <strong>de</strong> début et <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> citation sont<br />

notés (quand ils ne sont pas omis, ce qui arrive à plus d’une reprise).<br />

251 COMPAGNON, La Secon<strong>de</strong> main ou le travail <strong>de</strong> la citation, pp. 40-1.<br />

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