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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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lance qui saigne, à laquelle le roi d’Escavalon semble attacher tant <strong>de</strong> prix et dont il est dit<br />

qu’elle est <strong>de</strong>stinée à détruire tout le royaume <strong>de</strong> Logres (vv. 6168-71). <strong>En</strong> aucune manière les<br />

explications <strong>de</strong> l’ermite ne font allusion à cette dimension menaçante <strong>de</strong> la lance. Et quant au<br />

graal lui-même, si l’on apprend « qui l’on en sert », il n’est pas certain que nous soyons<br />

beaucoup plus avancés pour comprendre la signification à accor<strong>de</strong>r à cet objet textuel.<br />

Or on constate qu’une importante partie <strong>de</strong> la critique, à l’instar <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong>, ne remet pas en<br />

question les assertions <strong>de</strong> l’ermite, et ne relève pas même les lacunes que je viens <strong>de</strong> signaler<br />

rapi<strong>de</strong>ment. Cette fin « monologise » pourtant <strong>de</strong> manière radicale un discours qui, à mon<br />

sens, se caractérise par une forme <strong>de</strong> polyphonie à peu près aussi aboutie que celle que<br />

Bakhtine analyse chez Dostoïevski 806 . Plusieurs décennies d’étu<strong>de</strong>s critiques les plus diverses<br />

et les plus fouillées sur le Conte du graal montrent assez l’impossibilité pour le lecteur <strong>de</strong><br />

clore le sens <strong>de</strong> ce texte, <strong>de</strong> la même manière qu’il était peut-être impossible à Chrétien <strong>de</strong><br />

terminer son ouvrage par une conclusion fermée et qu’il ne fallut pas moins <strong>de</strong> quatre<br />

continuateurs et <strong>de</strong> plusieurs dizaines <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> vers pour en arriver à une conclusion –<br />

certainement pas définitive si l’on considère la multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s auteurs qui ont jugé bon <strong>de</strong><br />

rouvrir le dossier…<br />

Et toutes ces difficultés, à l’évi<strong>de</strong>nce, découlent d’un fait relativement aisé à observer :<br />

Chrétien, dans les limites <strong>de</strong> son texte, ne livre rien qui soit <strong>de</strong> l’ordre d’une « vérité<br />

supérieure ». Lecteurs ou continuateurs, nous en sommes, lorsque le roman s’achève,<br />

exactement au même point que <strong>Perceval</strong>, momentanément soulagés (si on ne creuse pas trop)<br />

par l’ébauche <strong>de</strong> solution apportée par l’ermite, mais fondamentalement empêtrés dans <strong>de</strong>s<br />

signes indéchiffrables.<br />

• La lisibilité <strong>de</strong>s signes chez Gerbert <strong>de</strong> Montreuil<br />

Cette problématique du lien <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> à la lecture est à nouveau centrale dans la Quatrième<br />

Continuation. Sébastien Douchet insiste à juste titre sur le fait que « le trajet du héros a lieu<br />

806 Mais chez le Dostoïevski <strong>de</strong>s Frères Karamazov, par exemple, la tentation <strong>de</strong> donner le « <strong>de</strong>rnier mot » au<br />

discours religieux a sans doute fourvoyé plus d’un lecteur sur les voies périlleuses d’une « morale <strong>de</strong><br />

l’histoire »… Il en va <strong>de</strong> même, par exemple, du livret, hautement polyphonique lui aussi, <strong>de</strong> la Khovantchina <strong>de</strong><br />

Moussorgski : le prestige et l’impression <strong>de</strong> sagesse qui émane <strong>de</strong> l’autorité religieuse sont difficiles à considérer<br />

comme « une voix parmi d’autres » plutôt que comme une vérité supérieure aux discours partisans <strong>de</strong>s instances<br />

laïques. Or si une telle lecture est évi<strong>de</strong>mment pertinente dans bon nombre <strong>de</strong> textes, au premier rang <strong>de</strong>squels<br />

on pourrait placer la Queste <strong>de</strong>l Saint Graal (où il est indubitable que les ermites ont toujours « raison », du point<br />

<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la « vérité du texte »), elle me paraît pourtant aussi erronée dans le Conte du graal que dans les <strong>de</strong>ux<br />

exemples russes mentionnés.<br />

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