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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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C’est que, très manifestement, il y a là un fort enjeu national. Nous avons déjà pu noter que<br />

lorsque les poètes du XVIème siècle en appelaient à un retour vers la matière chevaleresque,<br />

c’était souvent en lien direct avec l’annexion <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> ses motifs par les littérateurs<br />

étrangers, et en particulier par l’Arioste. A présent que notre « nouvel Arioste » se ressaisit <strong>de</strong><br />

la matière arthurienne, il semble que l’enjeu national soit plutôt orienté contre les Anglais, qui<br />

cherchent honteusement à s’approprier l’héritage d’une tradition authentiquement française.<br />

Ainsi, un <strong>de</strong>s objectifs principaux <strong>de</strong> la première préface <strong>de</strong> Creuzé semble être <strong>de</strong> déterminer<br />

quel pays est le berceau <strong>de</strong>s institutions chevaleresques. Il commence par circonscrire un<br />

foyer d’origine « qui comprend le midi <strong>de</strong> l’Angleterre, le nord <strong>de</strong> la Gaule et une partie <strong>de</strong> la<br />

Germanie », à cause du « respect pour les femmes » qu’il trouve dans ces régions, et qui est<br />

visiblement son meilleur outil pour venir à bout <strong>de</strong> cette épineuse question <strong>de</strong>s origines.<br />

Pour confirmation <strong>de</strong> son hypothèse, il explique que les premiers textes viennent précisément<br />

<strong>de</strong> cette région :<br />

C’est dans un <strong>de</strong>s hameaux d’Angleterre ou <strong>de</strong> Bretagne qu’est née la fable <strong>de</strong> Merlin<br />

sorcier, farfa<strong>de</strong>t, et protégeant <strong>de</strong> ses prodiges le roi Artus ou Arthur, petit prince<br />

anglais qui vivait au commencement du sixième siècle. M. <strong>de</strong> Caylus a prouvé assez<br />

bien que les con<strong>quête</strong>s très réelles <strong>de</strong> Charlemagne sont la véritable source <strong>de</strong>s<br />

exploits imaginaires d’Artus. Tandis que, selon notre usage <strong>de</strong> tous les siècles, nos<br />

romanciers s’amusaient à diminuer la gloire d’un <strong>de</strong> nos plus grands princes, les<br />

romanciers anglais exagéraient beaucoup celle du roi Artus, et au point <strong>de</strong> lui faire<br />

conquérir une partie <strong>de</strong> la France, où il n’entra jamais. (p. xxi)<br />

Malgré ce juste courroux contre l’exagération anglaise, si opposée à la mo<strong>de</strong>stie naturelle au<br />

peuple français 264 , Creuzé admet pourtant une origine <strong>de</strong> la légen<strong>de</strong> partagée entre la France et<br />

l’Angleterre, mais il <strong>de</strong>meure convaincu que les déboires d’Artus ne peuvent pas avoir été<br />

inventés par <strong>de</strong>s Anglais, lesquels, selon lui, « ont toujours eu le bonheur d’avoir l’esprit<br />

national » (p. xxvi).<br />

On ignore si Creuzé estime partager avec eux ce « bonheur » ; toujours est-il qu’il ne tar<strong>de</strong><br />

pas à nous rafraîchir la mémoire quant à la nationalité <strong>de</strong> ses chevaliers : dès la sixième page,<br />

Méliadus, le père <strong>de</strong> Tristan, accueille Lancelot en ces termes :<br />

Vous, sur ces bords <strong>de</strong> la gloire chéris,<br />

<strong>En</strong> attendant Tristan, mon noble fils,<br />

264 La préface <strong>de</strong> Creuzé est parcourue <strong>de</strong> considérations <strong>de</strong> cet ordre, comme par exemple : « excepté la France,<br />

qui pousse son impartialité généreuse au point d’être souvent injuste envers elle-même, je ne crois pas qu’il y ait<br />

un pays en Europe où il ne soit à-peu-près reconnu que les institutions chevaleresques y ont pris naissance » :<br />

ibid., p. xiv.<br />

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