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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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• Semblance en soi / pour soi<br />

Forts <strong>de</strong> cette confirmation apportée par Gerbert, revenons donc, pour un <strong>de</strong>rnier regard, à la<br />

scène <strong>de</strong>s gouttes <strong>de</strong> sang sur la neige. Lorsque <strong>Perceval</strong> se trouve <strong>de</strong>vant cette semblance<br />

<strong>de</strong>rrière laquelle il voit le visage <strong>de</strong> son amie, il est, symboliquement, dans la même position<br />

que le lecteur qui lit que <strong>Perceval</strong> contemple trois gouttes <strong>de</strong> sang sur la neige. Pour l’un<br />

comme pour l’autre, il s’agit d’interpréter un sens caché <strong>de</strong>rrière une image. La différence<br />

entre les <strong>de</strong>ux tient au fait que pour le lecteur, la présomption d’un sens <strong>de</strong>rrière toute image<br />

littéraire est un principe <strong>de</strong> lecture qui doit lui éviter <strong>de</strong> passer « à côté » du texte. Pour le<br />

personnage, en revanche, la question se pose <strong>de</strong> savoir en vertu <strong>de</strong> quoi un sens serait caché<br />

dans une image. Dans le cas qui nous occupe, la motivation psychologique semble<br />

déterminante pour établir l’existence d’un sens latent. Il est tentant, à cet égard, <strong>de</strong> supposer<br />

entre les <strong>de</strong>ux cas une différence <strong>de</strong> nature qui tiendrait à ce qu’un sens latent rési<strong>de</strong>, <strong>de</strong> façon<br />

immanente, dans l’image poétique que nous livre Chrétien <strong>de</strong> Troyes, tandis que ce n’est que<br />

le regard <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> qui constitue en signe une image neutre du mon<strong>de</strong>. Mais cette<br />

distinction n’est peut-être pas opératoire ; on peut préférer penser la chose en d’autres termes<br />

et considérer que, dans un cas comme dans l’autre, nous avons affaire à une perche à laquelle<br />

le « lecteur » (c’est-à-dire aussi bien <strong>Perceval</strong> que celui qui lit le texte <strong>de</strong> Chrétien) pourra<br />

s’agripper ou non, indépendamment du caractère intentionnel <strong>de</strong> sa constitution. Qu’importe,<br />

finalement, ce à quoi l’homme Chrétien <strong>de</strong> Troyes a véritablement pensé au moment où il<br />

consignait par écrit cette image forte. Qu’importe, <strong>de</strong> même, qu’une volonté divine ait imposé<br />

à la nature une neige hors <strong>de</strong> saison et calculé la conjonction, sur cette neige improbable, d’un<br />

faucon trop matinal, d’une oie sevrée du troupeau et d’un jeune chevalier enfin prêt à la<br />

contemplation. Qu’importe, autrement dit, que le signe soit là parce qu’il y a été posé, ou qu’il<br />

soit là, tout simplement, pour celui qui est prêt à le lire. L’intentionnalité qui doit nous<br />

importer ici n’est pas tant celle par laquelle un signe aurait été consciemment émis que celle<br />

qui désigne, selon la phénoménologie husserlienne, l’appréhension par une conscience d’un<br />

objet du mon<strong>de</strong>. Si une image peut être lue comme une semblance, c’est qu’elle est porteuse<br />

d’un sens – peu importe que la fécondation ait été antérieurement préméditée par ailleurs, ou<br />

qu’elle soit exactement simultanée à l’avènement <strong>de</strong> ce sens sous un regard neuf 813 .<br />

813 C’est en ce sens que la phénoménologie distingue l’« en soi » et le « pour soi ». Notons par ailleurs que cette<br />

séparation n’est pas une frontière hermétique et que Husserl lie intimement la réaction suscitée par un objet aux<br />

propriétés intrinsèques <strong>de</strong> celui-ci. Sartre décrit très bien cette idée : « Ce sont les choses qui se dévoilent<br />

soudain à nous comme haïssables, sympathiques, horribles, aimables. C’est une propriété <strong>de</strong> ce masque japonais<br />

que d’être terrible, une inépuisable, irréductible propriété qui constitue sa nature même, – et non la somme <strong>de</strong><br />

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