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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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pleinement, c’est-à-dire s’il interrogeait correctement le signe que figure à ses yeux le cortège<br />

du graal, il pourrait « guérir » le Roi Pêcheur… La question <strong>de</strong> savoir « qui l’on en sert » est<br />

tout à fait symétrique <strong>de</strong> celle que Starobinski propose <strong>de</strong> poser au texte : « à qui est-il<br />

parlé ? ». Elle peut évi<strong>de</strong>mment appeler une information ponctuelle, évoquant le vieux roi qui<br />

se trouve dans la chambre du fond ; mais elle peut aussi susciter une autre forme <strong>de</strong> réponse,<br />

car si celui à qui on sert l’objet graal est peut-être un vieux roi « esperitaus », celui à qui on<br />

sert le signe graal, en revanche, est assurément le questionneur lui-même. Et s’il avait<br />

vraiment fallu que la question <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> restaure un ordre perturbé, sans doute est-il plus<br />

fondé <strong>de</strong> supposer que la réponse l’aurait concerné lui plutôt que le vieux roi, et que c’est <strong>de</strong><br />

sa propre transformation que le geste ré<strong>de</strong>mpteur aurait pu venir.<br />

C’est plus ou moins cette dynamique que conserve Wagner, en dépit <strong>de</strong> la suppression <strong>de</strong> la<br />

question. Ce n’est que lorsqu’il comprend que la cérémonie du graal le concerne, dans la<br />

mesure où le concerne la souffrance humaine, que Parsifal accè<strong>de</strong> à ce statut d’intercesseur<br />

qui lui permet d’offrir à Amfortas et à Montsalvat la ré<strong>de</strong>mption. Cette lecture <strong>de</strong>s choses, je<br />

le rappelle, était en germe chez Wolfram qui, le premier, liait explicitement à la compassion la<br />

faculté magique <strong>de</strong> la question « bel oncle, quel est ton mal ? ». Si Parzival ne la pose pas,<br />

nous l’avons vu, c’est certainement qu’il n’est pas encore assez ouvert à l’autre et assez<br />

disponible pour faire preuve <strong>de</strong> cette empathie dont le pouvoir est si grand.<br />

Ce modèle interprétatif, nous le retrouverons au XXème comme base <strong>de</strong> certains<br />

investissements nouveaux du mythe <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong>.<br />

Ainsi, dans une lettre qu’elle écrit à Joë Bousquet en 1942, Simone Weil pose-t-elle le<br />

problème <strong>de</strong> la façon suivante :<br />

L’attention est la forme la plus rare et la plus pure <strong>de</strong> la générosité.<br />

Il est donné à très peu d’esprits <strong>de</strong> découvrir que les choses et les êtres existent.<br />

Depuis mon enfance je ne désire pas autre chose que d’en avoir reçu avant <strong>de</strong> mourir<br />

la révélation complète. […]<br />

Cette découverte fait en somme le sujet <strong>de</strong> l’histoire du Graal. Seul un être pré<strong>de</strong>stiné<br />

a la capacité <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à un autre : « Quel est donc ton tourment ? » Et il ne l’a<br />

pas en entrant dans la vie. Il lui faut passer par <strong>de</strong>s années <strong>de</strong> nuit obscure où il erre<br />

dans le malheur, loin <strong>de</strong> tout ce qu’il aime et avec le sentiment d’être maudit. Mais au<br />

bout <strong>de</strong> tout cela il reçoit la capacité <strong>de</strong> poser une telle question, et du même coup la<br />

pierre <strong>de</strong> vie est à lui. Et il guérit la souffrance d’autrui. 822<br />

822 SIMONE WEIL et JOË BOUSQUET, Correspondance, Lausanne: L'Age d'Homme, "Le Bruit du temps", 1982,<br />

pp. 18-9.<br />

522

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