30.06.2013 Views

En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Certes, l’événement (« le plus profond, le plus grave, un oiseau a chanté dans le ravin <strong>de</strong><br />

l’existence » (p. 173)) est perdu, et le « voile du temps » atteste aussitôt notre fatal exil, mais<br />

« il y a eu un don » ; nous l’avons vu.<br />

Sans doute sommes-nous ce Lancelot <strong>de</strong> la Quête du saint Graal qui, venu à une<br />

chapelle close et endormi près du seuil, la voit soudain dans sa nuit s’éclairer du plus<br />

grand feu, voit le Graal en franchir les grilles, entend un chevalier brusquement surgi<br />

<strong>de</strong> l’ombre s’écrier Ha, guéri suis ! mais <strong>de</strong>meure, lui, dans la léthargie <strong>de</strong> son<br />

mauvais sommeil loin <strong>de</strong> Dieu.<br />

Et pourtant, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette occasion manquée, nous ne sommes plus les mêmes, nous<br />

ne sommes plus aussi pauvres, il nous <strong>de</strong>meure un espoir. (p. 173)<br />

La parole poétique est donc une tentative <strong>de</strong> retrouver ce graal qu’on a aperçu et qui nous fait<br />

percevoir et orienter le mon<strong>de</strong> différemment, mais dont la présence nous a été ravie. Si le<br />

Lancelot <strong>de</strong> la Queste 899 a en effet entrevu le graal sans pouvoir y accé<strong>de</strong>r, c’est évi<strong>de</strong>mment à<br />

plus forte raison le cas du <strong>Perceval</strong> du Conte du graal, qui voit « apertement » le graal passer<br />

et repasser sous ses yeux.<br />

Poursuivant ses réflexions sur la capacité <strong>de</strong> la parole poétique à évoquer (au sens le plus<br />

plein) une présence, Bonnefoy retrouve le graal, considéré, cette fois-ci, dans son cortège :<br />

Il y a dans la poésie française mo<strong>de</strong>rne un cortège du Graal qui passe, les objets les<br />

plus vifs <strong>de</strong> cette terre – l’arbre, un visage, une pierre – et ils doivent être nommés. Il<br />

en va <strong>de</strong> notre espoir. (p. 175)<br />

A défaut <strong>de</strong> pouvoir réaliser la présence, au moins la parole poétique pourra-t-elle la célébrer,<br />

par tout le pouvoir <strong>de</strong>s mots. « La poésie se poursuit dans l’espace <strong>de</strong> la parole, mais chaque<br />

pas en est vérifiable dans le mon<strong>de</strong> réaffirmé », car si le « seul objet ou seule étoile » du poète<br />

se situe « au <strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute signification dicible », il n’en est pas moins évi<strong>de</strong>nt que « sa<br />

recherche requi[ert] toute la richesse <strong>de</strong>s mots » (p. 184).<br />

Car il s’agit bien, dans les termes <strong>de</strong> Bonnefoy, d’une recherche et même d’une <strong>quête</strong>.<br />

Nous qui avons découvert, maintenant, que le voyage, l’amour, l’architecture, toutes<br />

les tentatives <strong>de</strong> l’homme, ne sont que <strong>de</strong>s cérémonies pour accueillir la présence,<br />

nous avons à les ranimer jusque sur le seuil même <strong>de</strong> ce pays plus profond. (p. 181)<br />

Ce « pays plus profond », Bonnefoy le nomme « le vrai lieu ». On rejoint, d’une certaine<br />

façon, cette « vérité » que Proust cherche à découvrir à travers la réminiscence ; ici aussi, le<br />

vrai lieu est considéré comme un « objet <strong>de</strong> mémoire », envers lequel on a contracté un<br />

899 Bonnefoy a traduit <strong>de</strong> larges extraits <strong>de</strong> ce texte pour compléter le travail d’Albert Béguin.<br />

569

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!