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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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Ce est li CONTES DEL GRAAL (vv. 63-5).<br />

A plus forte raison, donc, s’il est vrai que le statut référentiel du « graal » diffère <strong>de</strong> celui <strong>de</strong><br />

tous les autres mots qui l’entourent, il faut noter cet écart comme un geste crucial – non<br />

seulement pour le mystère qu’il fait planer sur le référent, mais aussi parce que c’est<br />

l’ensemble <strong>de</strong> l’énonciation qui, pour le coup, s’en trouve bouleversé.<br />

Le contrat <strong>de</strong> lecture passé au seuil du texte nous permettait <strong>de</strong> nous attendre à un certain type<br />

<strong>de</strong> relation référentielle (à bon droit : nous avons lu les autres romans <strong>de</strong> Chrétien et nous<br />

savons à quoi nous en tenir) ; mais le fait qu’un mot, un seul, échappe à ce contrat, équivaut à<br />

exhiber ledit contrat, à le montrer du doigt. On avait accepté une « suspension volontaire <strong>de</strong><br />

l’incrédulité » comme disait Coleridge (« willing suspension of disbelief ») ; on était entré<br />

sans sourciller dans l’illusion référentielle, et voici que ce mot vient tout compromettre.<br />

L’illusion référentielle n’est-elle pas mise à mal par l’irruption d’un mot qui n’est pas<br />

traduisible en image mentale ? Ce mot ne crée-t-il pas un blanc dans la représentation<br />

iconique qui se joue dans la tête du lecteur/auditeur au moment <strong>de</strong> la lecture ? <strong>En</strong> tous cas, il<br />

semble bien impliquer une redéfinition du contrat <strong>de</strong> lecture ; un tel écart nous force à<br />

interroger la littéralité <strong>de</strong> ce que nous lisons, à remettre en question ce que nous pensions être<br />

le rapport du texte au mon<strong>de</strong>.<br />

Tranchant sur un fond homogène d’illusion référentielle, ce mot produit donc quelque chose<br />

que, par opposition à l’« effet <strong>de</strong> réel » barthésien, j’appellerais volontiers un « effet<br />

d’étrangeté ». Cette expression conserve discrètement une trace <strong>de</strong> la dialectique complexe<br />

que Freud, au fil d’un minutieux parcours lexicologique, décrypte <strong>de</strong>rrière le terme<br />

Unheimliche (que l’on traduit par « inquiétante étrangeté ») : quelque chose d’intimement<br />

familier, mais qui, après avoir été refoulé, resurgit sous une forme angoissante 745 . Nous avons<br />

déjà eu l’occasion <strong>de</strong> lire la scène du graal en termes <strong>de</strong> « retour d’un refoulé » (cf. ci-<strong>de</strong>ssus<br />

p. 361 sqq.). D’autre part, si l’on se réfère à l’archétype vengeur selon lequel le « graal »<br />

contenait une tête tranchée, le lien avec la décollation rapproche spontanément le graal <strong>de</strong> cet<br />

Unheimliche dont le premier exemple fourni par Freud, L’Homme au sable <strong>de</strong> Hoffmann,<br />

concerne précisément l’angoisse <strong>de</strong> castration (dont il est évi<strong>de</strong>nt, pour la psychanalyse, que<br />

la décollation est une symbolisation privilégiée).<br />

745 Cf. SIGMUND FREUD, L'Inquiétante étrangeté et autres essais, trad. Bertrand Féron, <strong>Paris</strong>: Gallimard,<br />

"Connaissance <strong>de</strong> l'Inconscient", 1985, p. 246.<br />

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