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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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si on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que le mythe continue à vivre, qu’il soit une écriture, et non seulement<br />

un contenu, il n’est peut-être pas d’autre issue que l’écriture <strong>de</strong> type dramatique, celle<br />

qui vient se placer dans la bouche d’un récitant et l’incite à faire ou à rêver quelques<br />

gestes symboliques […] 738<br />

Le paradoxe tiendrait alors à ce que Gracq ait choisi la forme la plus propice à faire revivre le<br />

mythe grâce à la représentation (ou à la « re-présence »), tout en exilant le « geste<br />

symbolique » le plus prégnant hors <strong>de</strong> l’espace représenté.<br />

Quoi qu’il en soit, il se confronte cette fois-ci directement aux figures mythiques elles-<br />

mêmes ; il ne s’agit plus <strong>de</strong> les utiliser comme miroirs, mais <strong>de</strong> les faire revivre dans leur<br />

contexte propre. Du coup, certains enjeux se précisent : la position centrale d’Amfortas et<br />

l’éclat insoutenable <strong>de</strong> la blessure sont en quelque sorte les leçons d’Argol et d’Un beau<br />

ténébreux ; mais ils se trouvent replacés dans un contexte où ils se combinent avec d’autres<br />

éléments du mythe que les œuvres antérieures n’avaient pas réactivés. Il en va ainsi, par<br />

exemple, <strong>de</strong> la ressemblance entre <strong>Perceval</strong> et Amfortas, déjà éprouvée par Argol : replacée<br />

dans une structure où la différence <strong>de</strong> génération entre les <strong>de</strong>ux hommes est restaurée, elle<br />

permet <strong>de</strong> retrouver un rapport symbolique père/fils, avec la charge œdipienne qui y est<br />

potentiellement attachée.<br />

La différence <strong>de</strong> génération engage également la problématisation d’un aspect central, mais<br />

qui était jusque-là resté dans l’ombre : ce qui distingue le plus fondamentalement <strong>Perceval</strong><br />

d’Amfortas, ce sont leur positions respectives face à l’Événement. <strong>Perceval</strong> incarne<br />

l’aspiration aveugle au changement, tandis qu’Amfortas est le très luci<strong>de</strong> gardien du statu<br />

quo. De cette vision naît entre ces <strong>de</strong>ux figures une tension puissante, qui n’avait jamais été<br />

illustrée avec autant <strong>de</strong> force dans la tradition percevalienne. La succession d’Amfortas, dès<br />

lors, prend une dimension <strong>de</strong> meurtre symbolique.<br />

J’ai parlé précé<strong>de</strong>mment <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux régimes <strong>de</strong> la réécriture que Gracq fait du mythe <strong>de</strong><br />

<strong>Perceval</strong>, attachés respectivement à la centralité <strong>de</strong> la blessure et à la tension entre<br />

transgression et statu quo. La reconfiguration que propose Le Roi Pêcheur conserve le<br />

premier régime tout en le fondant dans la dynamique plus large attachée au second. La<br />

blessure reste le centre du mon<strong>de</strong> dans lequel évolue Amfortas, mais la question qui se pose<br />

ici porte sur la légitimité même <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>. Doit-il être interprété comme un moindre mal,<br />

une sorte <strong>de</strong> « meilleur <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s possibles » que le candi<strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> <strong>de</strong>vrait admettre<br />

738 JEAN-LOUIS BACKES, "Quelles réécritures pour les mythes antiques", dans Métamorphoses du mythe.<br />

Réécritures anciennes et mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong>s mythes antiques, éd. Peter Schny<strong>de</strong>r, <strong>Paris</strong>: Orizons, "<strong>Université</strong>s -<br />

Domaine littéraire", 2008, p. 50.<br />

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