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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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peindre une pério<strong>de</strong> où les hommes, bien moins éduqués que les contemporains, étaient<br />

d’autant plus proches <strong>de</strong> sentiments premiers et purs. La naïve fraîcheur qui se dégage <strong>de</strong>s<br />

textes médiévaux <strong>de</strong>vient un antidote aux artifices contemporains. La valorisation du Moyen<br />

Âge, pour se frayer un chemin, adapte à son propos un modèle bien connu, <strong>de</strong>s cannibales <strong>de</strong><br />

Montaigne à l’« homme naturel » <strong>de</strong> Rousseau : le « bon sauvage ». Certes, les hommes <strong>de</strong><br />

cette époque éloignée étaient enfermés dans l’ignorance et la barbarie, mais il est possible <strong>de</strong><br />

distinguer à travers les « souvenirs si bizarres, si obscurs » que nous en ont laissés les vieux<br />

romanciers « l’espèce <strong>de</strong> beau idéal qui naissait, dans leurs esprits incultes, <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur<br />

même <strong>de</strong> leurs âmes » 270 , comme dit le chevalier Boufflers qui, paraît-il, « charmait Voltaire<br />

et […] intimidait Rousseau » 271 . « On n’avait pas, à beaucoup près, <strong>de</strong>s idées bien nettes sur la<br />

justice et la vertu ; mais on s’y essayait » ajoute-t-il ; et Creuzé s’émeut <strong>de</strong> ces attendrissantes<br />

tentatives : « rien <strong>de</strong> plus touchant, rien d’aussi naïf » que cette « simplicité <strong>de</strong>s vieilles<br />

mœurs », cette « vérité <strong>de</strong>s premiers sentiments » 272 .<br />

Il est un terme qui, à propos <strong>de</strong>s vieux romans, tombe presque automatiquement sous les<br />

plumes du temps <strong>de</strong> Creuzé : « naïveté ». Mais dans ce terme, il importe d’entendre, au-<strong>de</strong>là<br />

d’une profon<strong>de</strong> con<strong>de</strong>scendance, une attraction non moins profon<strong>de</strong>. Cette naïveté est<br />

ressentie comme un moyen <strong>de</strong> renouer avec <strong>de</strong>s valeurs franches et simples, <strong>de</strong> se rafraîchir<br />

<strong>de</strong>s sophistications et <strong>de</strong>s faux-semblants quotidiens.<br />

Ainsi, au topos du bon sauvage vient s’amalgamer ce que l’on pourrait considérer comme une<br />

<strong>de</strong> ses variantes où la distance temporelle se substituerait à la distance spatiale (« zur Zeit<br />

wird hier <strong>de</strong>r Raum », dirait Gurnemanz…). Pour rendre compte <strong>de</strong> cette variante, qui peut<br />

fort bien se constituer en topos indépendant, le terme le plus approprié serait le « bon vieux<br />

temps ». On retrouve souvent cette expression dans les textes <strong>de</strong> l’époque ; elle côtoie sans<br />

apparente contradiction <strong>de</strong>s expressions telles que « pério<strong>de</strong> barbare », comme si une frontière<br />

existait entre une réalité sociale et culturelle que rien ne saurait racheter, et, d’autre part, une<br />

image quasi édénique d’hommes que la société n’a pas encore corrompus. Mais à la<br />

différence <strong>de</strong>s Persans ou <strong>de</strong>s Hurons, ces hommes purs sont nos parents ; c’est le même sang<br />

qui coule dans leurs veines et dans les nôtres. D’où cette étrange dialectique <strong>de</strong><br />

270<br />

CREUZE DE LESSER, La Table ron<strong>de</strong>, p. 426.<br />

271<br />

Ibid., p. 418.<br />

272<br />

Ibid., p. xxxiv. On notera que <strong>Perceval</strong> est sans doute plus propre à illustrer cette vision du Moyen Âge que<br />

n’importe quel autre chevalier arthurien.<br />

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