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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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• Felix culpa<br />

Certes, le lien intime qui relie la main qui blesse à celle qui guérit est plus facile à interpréter<br />

dans la logique hégélienne à laquelle Albert se range : la pensée, qui nous distingue <strong>de</strong><br />

l’animal, est cause que nous souffrions <strong>de</strong> notre condition, mais c’est elle aussi qui nous<br />

permet <strong>de</strong> nous guérir <strong>de</strong> cette souffrance. C’est dans ce sens que la dialectique hégélienne<br />

revalorise le mythe <strong>de</strong> la Chute, considérant le péché sous sa forme la plus acceptable : goûter<br />

au fruit <strong>de</strong> l’arbre <strong>de</strong> la connaissance.<br />

L’interprétation concurrente qu’implique l’acte d’Herminien porterait au contraire à regar<strong>de</strong>r<br />

ce fruit dans sa dimension la plus charnelle. Mais du coup, la dialectique qui associerait<br />

blessure et guérison se fait plus complexe. Plutôt que blessure et guérison, il faudrait dire<br />

faute et ré<strong>de</strong>mption ; dès lors, les choses s’éclaireraient d’elles-mêmes, puisque nous<br />

rejoindrions alors les réflexions <strong>de</strong>s philosophes chrétiens (au premier rang <strong>de</strong>squels Thomas<br />

d’Aquin) sur la notion <strong>de</strong> felix culpa – réflexions que l’on peut résumer très simplement <strong>de</strong> la<br />

façon suivante : sans la faute d’Adam, le Christ eût été inutile. La faute d’Adam peut être dite<br />

bienheureuse, dans la mesure où elle appelle l’avènement d’un ré<strong>de</strong>mpteur. L’expression felix<br />

culpa apparaît dans l’Exultet <strong>de</strong> la vigie pascale : « O felix culpa quae talem ac tantum meruit<br />

habere re<strong>de</strong>mptorem ». Elle est donc associée à l’office du Samedi saint, len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> ce<br />

Vendredi que, <strong>de</strong> Chrétien à Wagner, nous avons si souvent rencontré.<br />

La dimension <strong>de</strong> felix culpa apparaît en filigrane <strong>de</strong>rrière la plupart <strong>de</strong>s textes médiévaux qui<br />

christianisent la <strong>quête</strong> du graal : <strong>de</strong>puis Robert <strong>de</strong> Boron, nous l’avons vu, la Table ron<strong>de</strong> est<br />

une translatio <strong>de</strong> la table <strong>de</strong> la Cène, et le siège périlleux est là pour que celui qui parviendra à<br />

s’y asseoir rachète la faute <strong>de</strong> Judas. A ce propos, on peut d’ailleurs noter une hésitation<br />

amusante, au fil <strong>de</strong>s textes médiévaux : le Joseph <strong>de</strong> Robert <strong>de</strong> Boron semble balancer entre<br />

<strong>de</strong>ux options, qui toutes <strong>de</strong>ux seront suivies par certains textes postérieurs : le siège périlleux<br />

apparaît tantôt comme une translatio du siège <strong>de</strong> Jésus (et Galaad prendra donc la place<br />

symbolique du Christ – c’est ce que dit la Queste), tantôt comme le siège <strong>de</strong> Judas (et Galaad<br />

rachètera la faute en comblant le cercle brisé par la trahison <strong>de</strong> Judas – le Didot-<strong>Perceval</strong> suit<br />

cette voie).<br />

Si l’on peut dire que cette notion était déjà présente <strong>de</strong>puis bien longtemps dans le corpus<br />

percevalien, il faut pourtant noter que Gracq la radicalise à un <strong>de</strong>gré extrême. D’abord, en la<br />

sortant <strong>de</strong> son contexte chrétien, il transforme en quelque sorte sa dimension eschatologique<br />

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