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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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Nous ne saurons jamais pourquoi <strong>Perceval</strong> déci<strong>de</strong> à ce moment <strong>de</strong> laisser le « grant chemin »<br />

qui <strong>de</strong>vait lui permettre <strong>de</strong> parvenir 846 au château du graal pour emprunter une autre voie,<br />

« durement erbose et espinouse et anniose ». Mais à la lecture <strong>de</strong> ce passage, on a la nette<br />

impression d’une fuite <strong>de</strong>vant la conclusion – fuite <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> <strong>de</strong>vant la conclusion <strong>de</strong>s<br />

aventures (« une petite <strong>de</strong>rnière, et après, j’y vais… ») ou fuite du poète <strong>de</strong>vant la conclusion<br />

du texte. L’une et l’autre sont intimement liées, et la poursuite <strong>de</strong> la <strong>quête</strong> est l’occasion <strong>de</strong><br />

continuer à parler. Comme Shéhéraza<strong>de</strong>, le poète doit relancer les aventures pour ne pas avoir<br />

à se taire.<br />

• Ressou<strong>de</strong>r l’épée<br />

<strong>En</strong> fin <strong>de</strong> compte, Wauchier ramène pourtant <strong>Perceval</strong> au château du graal. Le chevalier y est<br />

reçu en gran<strong>de</strong> pompe par le Roi Pêcheur. A la fin du repas, celui-ci <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à <strong>Perceval</strong> <strong>de</strong><br />

ressou<strong>de</strong>r l’épée brisée qui suit le graal et la lance dans le cortège décrit par Wauchier.<br />

Comme nous l’avons vu, <strong>Perceval</strong> y réussit presque parfaitement (cf. ci-<strong>de</strong>ssus p. 474),<br />

laissant toutefois subsister une très légère « creveüre » ou « escriuture » – une imperceptible<br />

« écriture » qui permet <strong>de</strong> ne pas boucler tout à fait le récit et <strong>de</strong> relancer, précisément,<br />

l’écriture <strong>de</strong>s aventures. Comme le dit Charles Méla 847 :<br />

Cette mince « écriture » suffit à ce que <strong>Perceval</strong> venu pour savoir continue <strong>de</strong><br />

manquer à savoir. Peut-être lui faut-il voir dans cette fêlure le secret <strong>de</strong> son désir qui<br />

fait sa vérité et <strong>de</strong>vons-nous entendre par cet exemple et par ce mot que l’écriture<br />

n’est rien d’autre que la ligne <strong>de</strong> faille du savoir. 848<br />

La présence d’une écriture sur l’épée, rappelons-le, était déjà évoquée par Chrétien (v. 3137),<br />

et là aussi, cette écriture révélait un point <strong>de</strong> contact entre l’épée et le texte : ce que le Roi<br />

Pêcheur apprend <strong>de</strong> cette écriture, en effet, c’est à la fois la très haute valeur <strong>de</strong> l’épée, mais<br />

probablement aussi le fait qu’elle est <strong>de</strong>stinée à se briser dans un moment capital. Cette épée<br />

est la <strong>de</strong>rnière œuvre d’un forgeron extraordinairement habile, qui mourra sans en avoir forgé<br />

d’autre…<br />

Si l’on accepte <strong>de</strong> se placer dans la séduisante perspective amorcée par Roger Dragonetti dans<br />

La Vie <strong>de</strong> la lettre au Moyen-Age, et que l’on fait <strong>de</strong> Chrétien, comme le propose Denis Hüe,<br />

846 Je pourrais ici paraphraser Michel Zink (cf. ci-<strong>de</strong>ssus p. 497) et écrire que « si j’étais mon professeur Charles<br />

Méla, je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rais si <strong>Perceval</strong> souhaite vraiment y "parvenir" ou s’il ne désirerait pas plutôt n’y "pas<br />

revenir" » (un peu à l’image <strong>de</strong> l’Ulysse <strong>de</strong> Giono)…<br />

847 Le vrai, cette fois-ci !<br />

848 CHARLES MELA, La Reine et le Graal, <strong>Paris</strong>: Seuil, 1984, p. 41.<br />

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