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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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ii. Œdipe inversé ?<br />

Compte tenu <strong>de</strong>s affinités consubstantielles que nous notions entre mythe et enjeux familiaux,<br />

il n’y a sans doute rien <strong>de</strong> surprenant à ce retour récurrent, dans le mythe <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong>, d’une<br />

problématique familiale. Si cette dimension est moins directement visible, à la surface du<br />

texte, dans ce mythe que dans celui d’Œdipe, elle n’en est pourtant pas moins profondément<br />

ancrée dans les racines mêmes <strong>de</strong> ce qui fait <strong>de</strong> ce mythe un mythe – c’est-à-dire <strong>de</strong> ce par<br />

quoi il revêt une « dimension fascinante » (Dabezies), en allant puiser ses formes élémentaires<br />

dans les profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> l’expérience humaine la plus partagée.<br />

Nous avons déjà eu plusieurs occasions <strong>de</strong> mentionner ponctuellement les parallèles que Lévi-<br />

Strauss a relevés entre les mythes <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> et d’Œdipe. Nous avons vu que Gouttebroze,<br />

sous le titre Le <strong>Perceval</strong> <strong>de</strong> Chrétien <strong>de</strong> Troyes comme représentation <strong>de</strong> l’Œdipe inversé,<br />

relativisait certaines conclusions <strong>de</strong> Lévi-Strauss et proposait plutôt <strong>de</strong> voir le mythe <strong>de</strong><br />

<strong>Perceval</strong> comme une sorte <strong>de</strong> dépassement <strong>de</strong> la clôture œdipienne, comme un juste milieu<br />

entre Œdipe et Oreste (cf. le tableau reproduit ci-<strong>de</strong>ssus, p. 363). Son idée, je le rappelle, est<br />

que <strong>Perceval</strong>, en sortant du château du graal, est prêt à quitter la phase orestienne <strong>de</strong> son<br />

développement personnel pour accé<strong>de</strong>r à une phase œdipienne triomphante : il a réussi à<br />

gar<strong>de</strong>r le silence et à conjurer le consentement qu’aurait représenté une prise <strong>de</strong> parole <strong>de</strong>vant<br />

le graal, ce qui lui permet d’échapper définitivement à la menace d’une régression œdipienne,<br />

et c’est donc la meilleure part d’Œdipe qu’il rejoint en parvenant à répondre aux questions <strong>de</strong><br />

sa cousine – Érinye et sphinx à la fois.<br />

Il me semble pourtant que cet épiso<strong>de</strong>, observé sous un autre angle, participe au contraire à<br />

renforcer l’opposition structurale entre les <strong>de</strong>ux mythes. <strong>En</strong> effet, après avoir gardé le silence,<br />

<strong>Perceval</strong> retrouve la parole pour fournir <strong>de</strong>s réponses précises et pertinentes aux questions <strong>de</strong><br />

sa cousine. Le sommet <strong>de</strong> la clairvoyance est évi<strong>de</strong>mment atteint dans cette extraordinaire<br />

divination du nom, qui atteste l’accession à un <strong>de</strong>gré plus profond <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi. Or<br />

précisément, cet élément distingue radicalement <strong>Perceval</strong> d’Œdipe : lorsque la sphinge<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> au jeune homme quel est cet animal qui marche le matin sur quatre pieds<br />

(tetrapous), à midi sur <strong>de</strong>ux (dipous), et le soir sur trois (tripous), il répond triomphalement<br />

que cet animal est l’homme. Certes, il a raison, et la bête se précipite dans le vi<strong>de</strong> ; mais n’y<br />

aurait-il pas eu une autre réponse à faire ? Lui Œdipe, lui Oidipous, l’homme au pied enflé<br />

(oidos), n’a-t-il pas, plus que quiconque, été tetrapous étant enfant, à cause, précisément, <strong>de</strong><br />

ses pieds enflés ? N’est-il pas, à l’heure qu’il est, le dipous par excellence, campé fièrement<br />

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