30.06.2013 Views

En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Après avoir trouvé chez Handke l’idée d’une écriture perçue comme lutte contre la menace du<br />

silence, nous serions ici face à une autre orientation thérapeutique <strong>de</strong> la <strong>quête</strong> et <strong>de</strong> l’écriture,<br />

qui s’assimilerait cette fois à une lutte contre la désagrégation.<br />

Certes, on ne saurait attribuer à La Vie mo<strong>de</strong> d’emploi une dimension d’art poétique<br />

comparable à celle que nous observions dans Parsifal ou dans la Recherche ; pourtant, il n’est<br />

pas sans intérêt <strong>de</strong> rapprocher la <strong>quête</strong> aussi gratuite que structurante que mène Percival<br />

Bartlebooth <strong>de</strong> la démarche d’écriture telle que la conçoit Perec. Le plan très précis et<br />

rigoureux que s’impose Bartlebooth pour donner un sens à son existence n’est pas sans<br />

rappeler à maints égards la poétique perecquienne : ce mélange <strong>de</strong> création artistique<br />

(l’aquarelle) et d’exercice combinatoire (le puzzle), cette propension à l’accumulation (cinq<br />

cents lieux peints, à travers le mon<strong>de</strong>) ne sont-il pas autant d’éléments qui font du projet <strong>de</strong><br />

Bartlebooth une sorte <strong>de</strong> mise en abyme <strong>de</strong> La Vie mo<strong>de</strong> d’emploi et, plus largement, <strong>de</strong><br />

l’écriture perecquienne ? Lorsqu’il envisage sa gran<strong>de</strong> entreprise, Bartlebooth expose trois<br />

principes directeurs. Le premier est « d’ordre moral » :<br />

Ce que ferait Bartlebooth ne serait ni spectaculaire ni héroïque ; ce serait simplement,<br />

discrètement, un projet, difficile certes, mais non irréalisable, maîtrisé d’un bout à<br />

l’autre et qui, en retour, gouvernerait, dans tous ses détails, la vie <strong>de</strong> celui qui s’y<br />

consacrerait. (p. 803)<br />

Le second, « d’ordre logique », exclut « tout recours au hasard », tandis que le troisième,<br />

« d’ordre esthétique », insiste sur la gratuité du projet : « sa perfection serait circulaire : une<br />

succession d’événements qui, en s’enchaînant, s’annuleraient » (p. 804).<br />

Or, le lecteur constate, au <strong>de</strong>rnier chapitre <strong>de</strong> cette formidable construction formelle qu’est La<br />

Vie mo<strong>de</strong> d’emploi (d’où le hasard est évi<strong>de</strong>mment banni), que tout le récit n’était qu’une<br />

forme d’atermoiement et que le temps est arrêté <strong>de</strong>puis la première page – « perfection<br />

circulaire » d’un intarissable récit qui tient tout entier dans cet instant, peu avant huit heures le<br />

soir du 23 juin 1975, où Percival n’a pas pu achever le puzzle qui représentait « un petit port<br />

<strong>de</strong>s Dardanelles près <strong>de</strong> l’embouchure <strong>de</strong> ce fleuve que les Anciens appelaient Maiandros, le<br />

Méandre » (p. 1274). C’est donc le port qui est au terme du Méandre que,<br />

symptomatiquement, Percival n’a pas réussi à achever, achevant par cet échec les méandres<br />

d’une écriture qui, comme le puzzle en question, s’élabore dans la tension entre le centre vi<strong>de</strong><br />

en X et le W résiduel – c’est-à-dire entre « le souvenir <strong>de</strong> leur mort et l’affirmation <strong>de</strong> ma<br />

581

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!