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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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• Pénitent ou surhomme ?<br />

Un autre texte, datant également <strong>de</strong> 1925, ressaisit d’une façon différente cette question <strong>de</strong> la<br />

Kunstreligion : dans une section <strong>de</strong> Sur la Vie intitulée « Sourire <strong>de</strong> la prairie », André Suarès<br />

reprend l’idée wagnérienne d’une religion <strong>de</strong> l’art lorsqu’il écrit : « le saint <strong>de</strong>s temps<br />

nouveaux, c’est l’artiste au grand cœur. Non, rien ne se fera <strong>de</strong> grand si la sainteté y<br />

manque » 448 . Mais cette sainteté a <strong>de</strong>s contours plus nettement chrétiens que celle <strong>de</strong> Wagner.<br />

Bien que la référence intertextuelle ne soit pas explicite, il est vraisemblable que « Sourire <strong>de</strong><br />

la prairie » soit une sorte <strong>de</strong> réponse au « Regard sur la prairie » <strong>de</strong> Barrès. Il s’agit en tous<br />

cas d’une évocation du même moment <strong>de</strong> Parsifal ; mais la lecture qu’en fait Suarès conteste<br />

implicitement les conclusions <strong>de</strong> Barrès en ramenant au premier plan une assimilation <strong>de</strong><br />

Parsifal au Christ. Nulle « loi <strong>de</strong> l’Individu » ici, mais un amour tout-puissant, étroitement lié<br />

à l’amour du Christ pour l’humanité. Son Parsifal, d’ailleurs, a 33 ans ; « ses pieds,<br />

maintenant déchirés par les ronces et les pierres, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt pardon aux épines qui les<br />

déchirent » 449 .<br />

Voilà qui est bien plus chrétien que wagnérien – car, comme je l’ai déjà souligné, les notions<br />

<strong>de</strong> contrition ou même <strong>de</strong> sacrifice, telles que les conçoit le catholicisme, sont étrangères à<br />

Parsifal, quoi qu’ait pu en penser Nietzsche. Il n’a d’ailleurs pas fallu attendre Gracq pour<br />

voir se <strong>de</strong>ssiner une image précisément nietzschéenne <strong>de</strong> Parsifal. Dès 1902, Alfred Lorenz<br />

dressait le portrait d’un « Parsifal als Übermensch », insistant sur le fait que « <strong>de</strong>rjenige, <strong>de</strong>r<br />

das Lei<strong>de</strong>n mitempfin<strong>de</strong>nd kennt und trotz<strong>de</strong>m in seinem hel<strong>de</strong>nhaften kraftvollen Han<strong>de</strong>ln<br />

fortfährt, ist „hart“ » 450 . Cette thèse d’un Parsifal rejoignant le surhomme nietzschéen a été<br />

illustrée un peu plus tard dans un poème <strong>de</strong> Friedrich Lienhard intitulé « Parsifal und <strong>de</strong>r<br />

Büßer » (1912), où le héros wagnérien est opposé à un pénitent, comme l’énergie active<br />

s’oppose à la passivité et à la résignation. Tous <strong>de</strong>ux cherchent le Christ, mais alors que le<br />

pénitent cherche en lui la mort, Parsifal cherche en lui une victoire, et lorsque le premier<br />

présente le mon<strong>de</strong> comme « unausrottbar sündig », Parsifal réplique : « so schaffen wir die<br />

448<br />

ANDRE SUARES, Sourire <strong>de</strong> la prairie, dans Sur la vie I, <strong>Paris</strong>: Emile-Paul frères, 1925, p. 47.<br />

449<br />

Ibid., p. 43.<br />

450<br />

ALFRED LORENZ, "Parsifal als Übermensch", Die Musik, no 1 (1902), p. 1878. Cité dans URSULA SCHULZE,<br />

"Stationen <strong>de</strong>r Parzival-Rezeption. Strukturverän<strong>de</strong>rung und ihre Folgen", dans Mittelalter-Rezeption. Ein<br />

Symposion, éd. Peter Wapnewski, Stuttgart: J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, "Germanistische Symposien<br />

Berichtsbän<strong>de</strong>", 1986, p. 560. Il faut noter qu’Alfred Lorenz est l’auteur du fameux ouvrage Das Geheimnis <strong>de</strong>r<br />

Form bei Richard Wagner (1924-33), qui marquera durablement l’analyse musicale <strong>de</strong>s drames wagnériens.<br />

D’un point <strong>de</strong> vue personnel, Lorenz sera assez lour<strong>de</strong>ment compromis par ses engagements politiques au<br />

moment du nazisme – ce dont l’idée du « surhomme » parsifalien pourrait bien être une première amorce.<br />

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