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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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Le faucon s’en va parce que « trop fu main », c’est-à-dire parce qu’il est trop matin, trop tôt.<br />

Certains manuscrits donnent, au contraire, « trop tart », mais d’une part ils ne sont pas<br />

majoritaires, et d’autre part, la leçon « trop main » bénéficie du critère <strong>de</strong> la lectio<br />

difficilior 801 : il est aisé d’imaginer qu’un copiste, ne comprenant pas « trop main », remplace<br />

l’expression par « trop tart », se figurant que le faucon n’a « pas été assez rapi<strong>de</strong> », comme le<br />

traduit Jacques Ribard 802 . Le contraire est plus difficile à imaginer, tant il est vrai que le sens<br />

<strong>de</strong> ce « trop main » n’est pas évi<strong>de</strong>nt à déterminer. Lucien Foulet traduit « mais l’heure était<br />

trop matinale pour le faucon qui dédaigne <strong>de</strong> se joindre et s’attacher à sa proie » 803 ; Henri <strong>de</strong><br />

Briel donne : « mais il était encore trop tôt le matin pour qu’il voulût <strong>de</strong>scendre la ramasser, et<br />

il continua son vol » 804 . Voilà donc un faucon qui ne travaille pas en-<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s heures<br />

ouvrables ! Charles Méla traduit simplement « il était trop matin » ; Michèle Gally et Jean<br />

Dufournet indiquent qu’« il était trop tôt ». Mais évi<strong>de</strong>mment, la question qui se pose est <strong>de</strong><br />

savoir en vertu <strong>de</strong> quoi l’heure matinale a pu dispenser un faucon, qui avait pourtant jugé bon<br />

<strong>de</strong> se mettre en chasse, <strong>de</strong> venir « se joindre et s’attacher » à sa proie – <strong>de</strong>ux verbes qui,<br />

d’ailleurs, ne laissent pas <strong>de</strong> surprendre dans un pareil contexte…<br />

La meilleure explication ne consisterait-elle pas à comprendre que ce ne sont pas seulement<br />

les gouttes <strong>de</strong> sang qui plongent <strong>Perceval</strong> dans la rêverie, mais aussi la séquence par laquelle<br />

elles en sont venues à tacher la neige ? Car <strong>Perceval</strong> a observé toute la scène : le verbe<br />

« voir » apparaît aux vers 4174 et 4185, encadrant <strong>de</strong> près l’épiso<strong>de</strong> en question.<br />

Essayons donc <strong>de</strong> conjuguer les éléments présents : une gente/jante chassée par un faucon, la<br />

neige <strong>de</strong>foulée sur laquelle les <strong>de</strong>ux oiseaux ne se sont pourtant pas liés ni joints, car il était<br />

trop matin pour le faucon, et puis, résultat <strong>de</strong> tout cela, trois gouttes <strong>de</strong> sang sur la neige. Les<br />

raisons pour lesquelles <strong>Perceval</strong> pense si fort à Blanchefleur ne seraient-elles pas<br />

surdéterminées par un contexte qui, tout autant que les gouttes elles-mêmes, ramène à son<br />

801<br />

C’est probablement pour cette raison que Hilka, dont l’édition suit prioritairement le ms A (BNF 794), qui<br />

donne « trop fu tart », choisit <strong>de</strong> retenir pour ce vers la leçon « trop fu main ». Daniel Poirion, dans son édition<br />

<strong>de</strong> la Pléia<strong>de</strong>, s’étonne <strong>de</strong> ce choix : « on ne voit pas pourquoi <strong>de</strong>s éditeurs comme Hilka ont préféré pour ce<br />

comportement l’explication <strong>de</strong> certains copistes : trop fu main » (CHRETIEN DE TROYES, <strong>Perceval</strong> ou le Conte du<br />

Graal, dans Oeuvres complètes, texte édité par Daniel Poirion, trad. Daniel Poirion, <strong>Paris</strong>: Gallimard,<br />

"Bibliothèque <strong>de</strong> la Pléia<strong>de</strong>", 1994, p. 1356). Il y a pourtant plusieurs bonnes raisons à cela : à l’exception <strong>de</strong>s<br />

mss A et B (lequel donne un vers tout différent), tous les (13) autres mss donnent « main ». Si l’on ajoute à cela<br />

le critère <strong>de</strong> la lectio difficilior, il paraît au contraire difficile, d’un point <strong>de</strong> vue philologique, <strong>de</strong> retenir « trop fu<br />

tart »…<br />

802<br />

CHRETIEN DE TROYES, Le Conte du Graal (<strong>Perceval</strong>), trad. Jacques Ribard, <strong>Paris</strong>: Honoré Champion,<br />

"Traductions <strong>de</strong>s Classiques français du Moyen Âge", 1983, p. 87. La traduction proposée se base sur l’édition<br />

<strong>de</strong> Félix Lecoy, qui suit le ms A.<br />

803<br />

CHRETIEN DE TROYES, <strong>Perceval</strong> ou le Conte du Graal, trad. Lucien Foulet, <strong>Paris</strong>: Stock, "Moyen Âge", 1991<br />

[1978], p. 126.<br />

804<br />

CHRETIEN DE TROYES, Le Roman <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> ou le Conte du Graal, trad. Henri <strong>de</strong> Briel, <strong>Paris</strong>: Klincksieck,<br />

"Le Roi Arthur", 1971, p. 60.<br />

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