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En quête de Perceval - Université Paris-Sorbonne

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La secon<strong>de</strong> digression est un bon exemple du mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> « conjointure » que pratique Creuzé :<br />

parmi les arguments que la mère <strong>de</strong> <strong>Perceval</strong> donne à son fils pour le convaincre <strong>de</strong> ne pas<br />

partir, elle glisse adroitement le récit <strong>de</strong>s aventures d’Erec et <strong>En</strong>i<strong>de</strong> : vingt-<strong>de</strong>ux quatrains<br />

d’alexandrins qui s’achèvent sur la morale suivante :<br />

On peut trouver la gloire aux terres étrangères ;<br />

Mais la félicité rési<strong>de</strong> à la maison. (p. 197)<br />

Pour tout le reste du chant, nous suivons d’assez près les traces <strong>de</strong> Tressan, avec toutefois<br />

quelques changements mineurs, dont il n’est pas toujours facile <strong>de</strong> comprendre la motivation,<br />

mais qui, comme le « tot el » <strong>de</strong> l’édition <strong>de</strong> 1530 (cf. ci-<strong>de</strong>ssus p. 126), peut donner<br />

l’impression superficielle que Creuzé « en dit autant » que ses prédécesseurs, alors que,<br />

profondément, il dit « tout autre chose » : par exemple, <strong>Perceval</strong> rencontre trois chevaliers<br />

dans la forêt, et non pas cinq, comme c’était le cas chez Chrétien, dans l’édition <strong>de</strong> 1530 et<br />

dans les <strong>de</strong>ux miniatures <strong>de</strong> la BUR. Or, chez Chrétien, les cinq chevaliers en recherchent cinq<br />

autres et trois jeunes filles, ce qui donne une composition exactement symétrique à celle du<br />

cortège <strong>de</strong> pèlerins que <strong>Perceval</strong> rencontrera à l’autre extrémité <strong>de</strong> ce que Chrétien nous dit <strong>de</strong><br />

ses aventures – cortège qui compte trois chevaliers et dix dames… 277<br />

Plus étonnant et plus profondément contraire à la logique iconique du texte <strong>de</strong> Chrétien est la<br />

<strong>de</strong>scription du « chevalier vermeil » comme un « chevalier noir ». Voilà qui est faire peu <strong>de</strong><br />

cas <strong>de</strong> l’opposition structurante du rouge et du blanc dans le Conte du graal : les armes <strong>de</strong>s<br />

chevaliers, lors <strong>de</strong> la rencontre initiale (v. 133 : « Et vit le blanc et le vermeil ») ; le visage <strong>de</strong><br />

Blanchefleur (v. 1824 : « Li vermeus sor le blanc assis »), la goutte <strong>de</strong> sang s’écoulant sur le<br />

fer blanc <strong>de</strong> la lance qui accompagne le graal (vv. 3197-8 : « Le lance blanche et le fer blanc, /<br />

S'issoit une goute <strong>de</strong> sanc », + vv. 4657-8 et 6375-6), et évi<strong>de</strong>mment, éblouissante synthèse <strong>de</strong><br />

tous ces « rouge sur blanc », les gouttes <strong>de</strong> sang sur la neige, contemplées par un <strong>Perceval</strong> aux<br />

armes vermeilles, seule tache <strong>de</strong> couleur au milieu d’un champ <strong>de</strong> neige, et qui, appuyé sur sa<br />

lance pour contempler ce sang, y lit la « semblance » du visage <strong>de</strong> Blanchefleur 278 .<br />

277 Delay et Roubaud, dans Graal Théâtre, se montreront assez sensibles à cette symétrie pour indiquer en<br />

didascalie, au début <strong>de</strong> la scène où nous en sommes : « cette scène doit reproduire autant que possible l’envers <strong>de</strong><br />

la scène 2. Cette fois les chevaliers sont à pied et <strong>Perceval</strong> à cheval, ce sont eux qui s’étonnent, lui qui cherche<br />

son chemin. » (JACQUES ROUBAUD et FLORENCE DELAY, Graal Théâtre. Gauvain et le chevalier vert, Lancelot<br />

du Lac, <strong>Perceval</strong> le Gallois, L'<strong>En</strong>lèvement <strong>de</strong> Guenièvre, <strong>Paris</strong>: Gallimard, "N.R.F", 1977, p. 259). Je profite<br />

d’abor<strong>de</strong>r cette symétrie inverse pour signaler que Tressan y ajoutait un élément en imaginant que <strong>Perceval</strong><br />

prend les pénitents pour <strong>de</strong>s spectres (cf. ci-<strong>de</strong>ssus p. 146) ; on ne peut toutefois attribuer ce fait <strong>de</strong> structure<br />

qu’au hasard, puisque Tressan ne mentionne pas que <strong>Perceval</strong>, au début du récit, avait pris les chevaliers pour<br />

<strong>de</strong>s anges…<br />

278 Cf. CHARLES MELA, Blanchefleur et le saint homme ou la semblance <strong>de</strong>s reliques. Etu<strong>de</strong> comparée <strong>de</strong><br />

littérature médiévale, <strong>Paris</strong>: Seuil, "Connexions du champ freudien", 1979, p. 40.<br />

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