PIANO MUSIC - Abeille Musique

Album d’un voyageur ET AUTRES MORCEAUX INSPIRÉS PAR DES ANNÉES DE VOYAGE EN FRANCE ET EN SUISSE
L
’ALBUM D’UN VOYAGEUR est la première collection
importante du début de la maturité de Liszt à
avoir été publiée ; même si une bonne partie en a
ensuite été révisée et le reste débarrassé de façon
injustifiée, elle n’en demeure pas moins significative
comme ensemble de compositions, pour l’audace de son
originalité d’une part, et d’autre part parce qu’elle montre
bien comment Liszt parvient à une création par le
mélange de compositions originales et de transcriptions et
fantaisies, tout en incorporant des éléments tirés de la
musique folklorique ou de thèmes d’autres compositeurs.
La production artistique de Liszt a été marquée toute sa
vie par le besoin qu’il ressentait de parvenir à de nouvelles
formes à travers la composition elle-même et par la
transformation de thèmes, plutôt que par la décision consciente
de choisir une structure traditionnelle dès le
départ. Les quelques rares morceaux (simples danses et
marches mises à part) dont le titre renvoie à une structure
formelle, se révèlent être beaucoup plus originaux dans
leur forme que leurs titres ne le laissaient supposer. Il
suffit de se pencher sur les symphonies Faust et Dante, la
Sonate ou les variations « Weinen, Klagen » pour en
trouver la confirmation. Cela ne signifie naturellement en
rien que Liszt traite la forme au petit bonheur, mais plutôt
qu’elle se distingue totalement des modèles classiques
qu’il rejetait. On retrouve cette « forme ouverte », si
justement définie par Alfred Brendel (dans Musical
Thoughts and Afterthoughts) dès le début dans les trois
Apparitions, dans un morceau des premières années,
appelé Harmonies poétiques et religieuses, et dans
l’Album d’un voyageur dans son entier.
Le voyage auquel le titre fait allusion porte sur la
période qui suit sa fuite de Paris avec la comtesse Marie
d’Agoult et leur séjour en Suisse. Cette liaison tapageuse
avec une femme mariée appartenant à l’aristocratie
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française rendait inévitable ce voyage, que les grossesses
de Marie et la naissance de Blandine, Cosima et Daniel,
ne purent ensuite que prolonger. Pendant près d’une
décennie, Liszt vécut à moitié comme un artiste en
tournée et à moitié comme un vagabond. Pendant cette
période, comme pour le reste de sa vie, mises à part les
douze années où il exerça la fonction de Kapellmeister
(chef d’orchestre à la cour) à Weimar, il ne s’installa
jamais nulle part n’achetant ni même ne louant de
domicile permanent. Pour commencer, le voyage fut
l’occasion d’une retraite intime avec Marie, qui était
décidée à l’encourager à lire et à écrire. C’est de cette
époque que date sa production d’articles sur la musique
(à laquelle, peut-on le supposer, Marie a contribué dans
une certaine mesure) et c’est aussi l’époque où Liszt put
enfin mettre au point ses idées sur la création artistique.
L’Album d’un voyageur passa par une succession de
différentes versions, et la préface de la version finale,
publiée en quatre volumes (le texte de base de cet
enregistrement) mentionne des changements à venir.
Pour compliquer encore les choses, les différentes éditions
donnent des titres différents aux diverses parties de
l’ouvrage (allant même jusqu’à employer le titre Années
de pèlerinage), et les premières œuvres hongroises
étaient censés continuer la série. Pour simplifier les
références, les œuvres sont maintenant toujours citées
avec les titres et numéros que nous avons utilisés nous
aussi.
Il nous faut reconnaître un certain désaccord avec
l’opinion (typiquement très sévère) de Liszt lui-même sur
ses propres œuvres ; comme tout le monde le sait, ce
recueil est le point de départ—deux morceaux mis à
part—du recueil plus tardif Première année de
pèlerinage—Suisse, mais Liszt avait essayé de supprimer
le premier recueil, allant même jusqu’à acheter les