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poitrine, le dos restant découvert et vulnérable ; ceci était conçu<br />

pour les dissuader, au cas où la couardise les aurait pris face à<br />

l’ennemi, de lui tourner le dos pour prendre la fuite. On savait<br />

aussi qu’ils polissaient le cuir de leurs armures avec de la graisse<br />

qu’ils se procuraient en faisant bouillir leurs victimes. Toutes<br />

ces choses étaient connues à Venise, et l’on se répétait, d’une<br />

voix assourdie par l’effroi, que certaines étaient même vraies.<br />

Je n’avais certes que cinq ans au moment du départ de mon<br />

père, mais cela ne m’empêcha pas de partager le sentiment<br />

universel de terreur que nous inspiraient ses sauvages de l’Est,<br />

familier que j’étais de cette phrase de menace devenue<br />

courante : « Les Mongols t’attraperont ! L’Orda t’emmènera ! »<br />

J’avais entendu cela tout au long de mon enfance, comme<br />

l’entendaient tous les petits enfants qui méritaient une<br />

admonestation. « L’Orda t’attrapera si tu ne finis pas ton<br />

souper... si tu ne files pas au lit... si tu ne cesses pas de faire tout<br />

ce bruit... » On maniait ce nom d’Orda, chez les mères et les<br />

gouvernantes de cette époque, comme on aurait menacé un<br />

enfant turbulent en lui disant : « L’Orco va te dévorer ! »<br />

L’Orco étant un démon géant auquel les mamans et les<br />

nourrices avaient toujours eu recours, il n’était pas difficile pour<br />

elles de lui substituer ce nom d’Orda, la Horde. Et la Horde<br />

mongole était assurément le monstre le plus réel et le plus<br />

crédible qui se pût concevoir ; la terreur dans leur voix n’avait<br />

pas besoin d’être feinte, lorsqu’elles l’évoquaient. Le simple fait<br />

qu’elles aient eu connaissance de ce mot prouvait qu’elles<br />

avaient des raisons de craindre l’Orda au même titre que<br />

n’importe quel enfant. Car c’était à l’origine le terme mongol de<br />

yurtu, qui désigne la vaste tente pavillonnaire du chef d’un<br />

campement mongol, qui avait été adopté, légèrement déformé,<br />

dans toutes les langues européennes pour désigner ce à quoi<br />

pensaient les Européens dès qu’ils songeaient aux Mongols :<br />

une foule en marche, une masse grouillante, un fourmillement<br />

irrésistible, une horde.<br />

Mais je n’eus plus à entendre très longtemps cette menace<br />

dans la bouche de ma mère. Dès qu’elle eut décidé que mon<br />

père était parti et sans doute mort, elle commença de se languir<br />

et alla désormais s’affaiblissant, jour après jour. L’année où<br />

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