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le change, il s’annonce en façade comme une minable boutique<br />

d’affûtage de couteaux, épées et autres outils. Mais, à l’arrière, il<br />

possède plusieurs prostituées de races et de couleurs variées. En<br />

bon musulman que je suis, je devrais immédiatement dénoncer<br />

ce charognard perché sur le Toit du monde, mais je ne le ferai<br />

que si vous me le demandez, après avoir jeté un œil chrétien sur<br />

l’établissement.<br />

Je lui promis d’aller inspecter les lieux, mais je ne le fis que<br />

quelques jours plus tard, lorsque nous fumes convenablement<br />

installés. À l’entrée de la boutique, un homme voûté était assis,<br />

frottant une faux sur une meule actionnée au pied. S’il n’avait<br />

pas été coiffé de la kippa, il aurait eu l’air d’un gros ours en<br />

peluche, car son visage était couvert de barbe, et ses nattes et<br />

favoris semblaient vouloir se perdre dans le grand manteau de<br />

fourrure qu’il portait. Je notai qu’il s’agissait d’un coûteux<br />

modèle en karakul, vêtement un peu trop élégant pour le<br />

modeste affûteur de couteaux qu’il prétendait être. J’attendis<br />

une pause dans le tournoiement crissant de la pierre à meuler et<br />

la pluie d’étincelles qui en jaillissait. Puis j’annonçai, suivant le<br />

conseil de Narine :<br />

— J’ai un outil spécial à faire affûter et graisser.<br />

L’homme leva la tête, et je clignai des yeux. Ses cheveux, ses<br />

sourcils et sa barbe ressemblaient à une moisissure rouge et<br />

bouclée tirant sur le gris, ses yeux avaient la couleur des mûres,<br />

et son nez était taillé en lame de cimeterre.<br />

— Un dirham, dit-il, ou vingt shahis de cuivre, ou cent<br />

coquilles de kauris. Les étrangers qui viennent pour la première<br />

fois paient d’avance.<br />

— Mais je ne suis pas un étranger ! répliquai-je avec<br />

chaleur. Vous ne me reconnaissez pas ?<br />

Avec une froideur équivalente, il rétorqua :<br />

— Je ne connais personne. C’est la condition pour continuer<br />

d’exercer mon métier, en cette ville corrompue et violente, aux<br />

lois contradictoires.<br />

— Mais je suis Marco !<br />

— Ici, tu ne donnes ton nom que lorsque tu enlèves ton<br />

pantalon. Si je venais à être questionné par un mufti un brin<br />

soupçonneux, je lui répondrais à bon droit que je ne connais<br />

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