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prodiguaient cet apprentissage. Chaque fois qu’Ubaldo<br />

m’accusait de retard mental ou se moquait d’une perplexité de<br />

ma part, je savais qu’il me manquait une petite miette de savoir,<br />

et Doris y suppléait gentiment.<br />

Un jour, je m’en souviens, Ubaldo déclara qu’il s’en allait<br />

vers le quartier ouest de la ville et qu’il allait emprunter, pour ce<br />

faire, le « bac des chiens ». N’ayant jamais entendu parler de ce<br />

mystère, je l’accompagnai dans l’espoir de le percer à jour. Nous<br />

traversâmes pourtant le Grand Canal par le pont du Rialto de la<br />

façon la plus ordinaire qui fût, et je dus avoir l’air tellement<br />

désappointé ou mystifié qu’il se gaussa en disant :<br />

— Ma parole, mais tu es plus ignorant qu’une pierre<br />

angulaire !<br />

Ce fut Doris qui m’expliqua :<br />

— Il n’y a qu’une façon, en venant de l’est, de gagner l’ouest<br />

de la ville, n’est-ce pas ? C’est de traverser le Grand Canal. Vu<br />

qu’ils chassent les rats, les chats sont tolérés sur les bateaux ;<br />

mais les chiens, eux, ne le sont pas. Comme ils ne peuvent<br />

franchir le canal que par le pont du Rialto, c’est donc le bac des<br />

chiens, tu percutes ?<br />

C’était plus facile pour certaines expressions de leur jargon<br />

des rues, que je parvenais à traduire sans aide. Ils désignaient<br />

un prêtre ou un moine du nom de rigioso, ce qui pourrait se<br />

traduire par « bêta », mais je compris vite, en fait, qu’ils<br />

contractaient tout simplement le mot religioso. Lorsque l’été,<br />

par très beau temps, ils annonçaient qu’ils quittaient le chaland<br />

de remorquage pour la Locanda de la Stela, je savais qu’ils ne<br />

s’offriraient pas un séjour dans un hôtel quatre étoiles ; ils<br />

voulaient juste dire qu’ils passeraient la nuit à la belle étoile.<br />

Lorsqu’ils parlaient d’une personne du sexe féminin comme<br />

d’une largazza, c’était par jeu de mots avec le terme ordinaire<br />

de ragazza, mais avec ce sous-entendu grivois que son<br />

ouverture intime était ample, voire caverneuse. En réalité, la<br />

majeure partie du langage des gens des bateaux (tout comme<br />

leurs conversations et leurs centres d’intérêt) tournait autour de<br />

ces sujets indélicats. J’absorbai une grande quantité<br />

d’informations, mais parfois, il me faut bien l’admettre, j’en<br />

ressortais plus embrouillé qu’éclairé.<br />

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