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personnel. La mercantile philosophie vénitienne, quant à elle,<br />

postule que les seules vérités vraiment palpables sont celles que<br />

désigne la dernière ligne des rapports comptables, là où se<br />

calcule la différence entre recettes et dépenses.<br />

Pourtant, quelque chose en moi se rebellait contre les<br />

contraintes qu’acceptaient tous les autres jeunes gens de mon<br />

âge et de ma classe sociale. Je voulais vivre une vie qui<br />

dépasserait les règles, les lignes des livres comptables comme<br />

celles du missel. J’étais par nature peu disposé à me laisser<br />

administrer cette sorte de sagesse imposée et plutôt méfiant à<br />

l’égard de ces parcelles d’information et d’exhortation si<br />

nettement sélectionnées, accommodées et servies, presque tels<br />

des plats, prêtes à être consommées et assimilées. Je préférais<br />

de loin organiser ma propre chasse au savoir, même si, et cela<br />

m’arriverait souvent, je devais le trouver un peu cru,<br />

désagréable au goût et d’odeur nauséabonde. Mes précepteurs<br />

et ceux qui avaient ma garde m’accusèrent donc de paresse, de<br />

manquement aux devoirs requis par le rude travail d’acquisition<br />

d’une éducation véritable. Jamais ils ne comprirent que j’avais<br />

en fait choisi une voie bien plus difficile, que j’étais fermement<br />

décidé à suivre où qu’elle puisse mener. C’est ce que je n’ai cessé<br />

de faire, de cette époque de ma petite enfance jusqu’aux années<br />

de ma maturité.<br />

Ces journées où je fuyais l’école sans pouvoir rentrer à la<br />

maison, il fallait bien que j’aille les perdre quelque part. C’est<br />

pourquoi, quelquefois, je m’en allais flâner près des bureaux de<br />

la Compagnie Polo, située alors, comme elle l’est encore<br />

aujourd’hui, sur la Riva Ca’di Dio, une esplanade qui donnait<br />

directement sur la lagune. Sur sa façade aquatique, elle était<br />

bordée de débarcadères en bois entre lesquels, bout à bout et<br />

flanc contre flanc, étaient amarrés barques et bateaux de<br />

différentes tailles : embarcations à faible tirant d’eau, gondoles<br />

de maisons privées, modestes bateaux de pêche ou salons<br />

flottants des nobles vénitiens, les burchielli. Là se côtoyaient<br />

galères de haute mer, galions de Venise, cogs de transport<br />

anglais ou flamands, trabacoli slaves et Caïques du Levant.<br />

Beaucoup de ces vaisseaux coureurs d’océans étaient si vastes<br />

que leurs proues et leurs espars dépassaient sur la rue et<br />

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