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Sans doute devinez-vous la signification de ces mots dans le<br />

jargon de la rue, aussi je ne chercherai pas à vous décrire<br />

l’image bizarre qu’ils évoquèrent dans mon esprit ignorant.<br />

Mais quelques respectables gentilshommes à l’allure de<br />

marchands qui passaient aux environs à cet instant précis<br />

esquissèrent un violent mouvement de recul, tandis que leurs<br />

diverses barbes et moustaches se hérissaient tels des oursins en<br />

entendant ces obscénités sortir en hurlant d’une bouche aussi<br />

petite et féminine que celle de Doris.<br />

Me mettant sous le nez les pauvres restes de son poisson<br />

qu’il tenait délicatement rassemblés dans la coupe de ses mains<br />

noircies, Ubaldo me demanda :<br />

— Tu dîneras avec nous ?<br />

Je ne le fis pas, mais, cet après-midi-là, lui et moi oubliâmes<br />

notre querelle et devînmes amis.<br />

Nous avions peut-être onze ou douze ans à l’époque, Doris<br />

deux ans de moins. Durant les années qui suivirent, je passai la<br />

majeure partie de mes journées en leur compagnie et celle de<br />

leurs compagnons, une cour de moutards des docks plutôt<br />

changeante. Durant ces mêmes années, rien ne m’aurait été plus<br />

aisé que de fréquenter tous les bien-nourris et les bien-vêtus,<br />

cette progéniture suffisante et collet-monté des illustrissimes<br />

familles qu’étaient les Balbi ou les Cornari (tante Julia déployait<br />

du reste des trésors de persuasion pour que je le fisse), mais je<br />

leur préférais mes vils et remuants amis. Admirateur de leur<br />

langage caustique, je m’empressai de l’adopter. Leur<br />

indépendance également me séduisait, ainsi que leur attitude<br />

bravache face à l’existence, et je faisais de mon mieux pour les<br />

imiter. Comme on pouvait s’y attendre, le fait que je refuse de<br />

me dépouiller de ces attitudes, à la maison ou ailleurs, ne<br />

contribuait nullement à renforcer l’amour que les autres<br />

pouvaient me porter.<br />

Au cours de mes peu fréquentes apparitions à l’école, je me<br />

mis à désigner frère Evariste de plusieurs surnoms appris de<br />

Boldo (comme il bel di Roma ou il Culiseo), et les autres écoliers<br />

ne tardèrent pas à m’emboîter le pas. Le frère maître d’école,<br />

averti de la chose, sembla au début plutôt flatté, jusqu’à ce qu’il<br />

se rende graduellement compte que nous n’étions pas vraiment<br />

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