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— Le fondement de notre fortune, répétai-je.<br />

— Il achète tout ce que nous vendons, dit Isidoro. Car nous<br />

le vendons, bien sûr, et pour un bon prix, tant qu’il n’est pas<br />

déraisonnable. Comme aromate, teinture, parfum,<br />

médicament... Mais, à la base, il représente le capital de notre<br />

Compagnie, et c’est lui que nous échangeons contre toutes nos<br />

autres marchandises : le sel d’Ibiza, le cuir de Cordoue ou le blé<br />

de Sardaigne. Tout comme à Gênes la Maison Spinola possède<br />

le monopole du commerce du raisin, notre Compagnie Polo de<br />

Venise détient celui du safran.<br />

Le dernier fils de la maison vénitienne des Polo remercia le<br />

vieux commis pour cette édifiante leçon de grand commerce et<br />

d’audace dans l’effort, avant, comme il en avait l’habitude, de<br />

repartir en flânerie pour partager l’indolente insouciance des<br />

enfants des bateaux.<br />

Comme je l’ai dit, ces enfants avaient tendance à aller et<br />

venir. Ainsi, d’une semaine sur l’autre, la barge qui leur servait<br />

de dortoir hébergeait rarement la même équipe. Comme tous<br />

les adultes de la populace, ils rêvaient de trouver, quelque part,<br />

un pays de Cocagne qui leur permettrait de vivre dans le luxe<br />

sans travailler, au lieu d’endurer cette misère noire dans<br />

laquelle ils vivaient. Aussi arrivait-il qu’ayant entendu parler<br />

d’un endroit offrant de meilleures perspectives que le front de<br />

mer de Venise, ils embarquassent, en passagers clandestins, sur<br />

un navire en partance pour ce chimérique espoir. Certains<br />

rentraient quelque temps après, qu’ils n’aient point réussi à<br />

atteindre leur destination ou qu’ils s’en soient désillusionnés.<br />

D’autres ne revenaient pas du tout, parce que (bien qu’on ne le<br />

sût jamais vraiment) leur bateau avait sombré et ils s’étaient<br />

noyés, ou ils avaient été appréhendés avant d’être jetés à<br />

l’orphelinat. À moins qu’ils n’aient effectivement fini par<br />

trouver il paese di Cuccagna et n’y soient demeurés...<br />

Mais Ubaldo et Doris restèrent d’inamovibles piliers, et ce<br />

fut d’eux que j’acquis la plus grande partie de mon éducation en<br />

matière de langage des basses classes. On ne cherchait pas à<br />

m’en bourrer le crâne, comme ce cher frère Evariste avec ses<br />

écoliers pour les conjugaisons latines. Là, c’est plutôt à ma<br />

demande que, par fragments, le frère et la sœur me<br />

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