19.06.2013 Views

-1-

-1-

-1-

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

j’eus sept ans, elle mourut. Je n’ai qu’un seul souvenir d’elle, qui<br />

date de quelques mois plus tôt. La dernière fois qu’elle<br />

s’aventura hors de notre Casa Polo, avant qu’elle regagne le lit<br />

sur lequel elle devait mourir, ce fut pour m’accompagner le jour<br />

de mon inscription à l’école. Et ce jour-là a beau appartenir au<br />

siècle dernier, je m’en souviens encore très clairement.<br />

À cette époque, notre Casa Polo était un petit palais situé<br />

dans le quartier de San Felice. Dès l’heure brillante de la<br />

matinée où sonnait la mezza terza au campanile de Saint-Marc,<br />

nous sortîmes, ma mère et moi, par le portail de la maison et<br />

gagnâmes l’allée pavée qui longe le canal. Notre vieux gondolier,<br />

le Noir Michel, un esclave originaire de Nubie, attendait près de<br />

notre bateau attaché à son poteau rayé. L’embarcation, graissée<br />

de frais, resplendissait de toutes ses couleurs. Ma mère et moi y<br />

montâmes et nous installâmes sous le dais. Pour l’occasion, je<br />

portais de beaux habits neufs : une tunique marron en soie de<br />

Lucques, si je me souviens bien, et des chausses à semelles de<br />

cuir. Du coup, tandis qu’il nous propulsait le long de l’étroit rio<br />

San Felice, notre pilote ne cessait de s’extasier à mon sujet,<br />

proférant des compliments tels que : « Che zentilomo ! » ou<br />

« Dasseno, xestu, messer Marco ? » (ce qui signifie : « Quel<br />

gentilhomme ! » ou « Vraiment, c’est bien vous, messire<br />

Marco ? »). Si ces manifestations d’admiration inaccoutumées<br />

me rendaient assez fier, elles me mettaient aussi un peu mal à<br />

l’aise. Il ne finit par se taire qu’en faisant virer le bateau sur le<br />

Grand Canal, où l’important trafic batelier requérait toute son<br />

attention.<br />

C’était l’un des plus beaux jours qui puissent régner sur<br />

Venise. Le soleil brillait mais, loin de darder sur la ville des<br />

rayons aigus, sa lumière s’y répandait de façon diffuse. Il n’y<br />

avait ni brouillard de mer ni brume de terre, ce qui ne limitait<br />

en rien la luminosité. Plutôt que de jeter des rayons directs, le<br />

soleil semblait briller d’une clarté plus subtile, de celles dont<br />

luisent les bougies sur un riche chandelier de cristal. Qui<br />

connaît Venise a forcément déjà admiré cette lumière : comme<br />

si des perles rose pâle et bleu ciel avaient été brisées et réduites<br />

en poudre... Une poudre si fine que ses particules flotteraient<br />

dans l’atmosphère sans en atténuer l’intensité, mais en lui<br />

-16-

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!