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moutons adultes. C’est de la peau d’agneau de moins de trois<br />

jours, tous les petits karakuls naissant noirs. Dès le quatrième<br />

jour, le noir de leur fourrure perd de son intensité, et nul<br />

commerçant ne l’accepterait plus comme du pur karakul.<br />

À une journée au nord du lac, nous arrivâmes au bord d’une<br />

rivière qui coulait de l’ouest vers l’est. Les Tadjiks locaux la<br />

nommaient Kek-Su, ce qui signifie la rivière du Passage. Nom<br />

bien mérité, puisque sa large vallée constitue la saignée idéale à<br />

travers les montagnes. Nous l’empruntâmes donc le cœur léger,<br />

et elle nous mena vers l’est en descendant progressivement des<br />

hautes terres que nous arpentions depuis si longtemps. Même<br />

les chevaux étaient soulagés de la facilité de cette route. Les<br />

montagnes rocailleuses avaient été aussi rudes pour leur ventre<br />

que pour leurs sabots, et ils découvraient sur ces pentes, qui se<br />

déroulaient infiniment douces sous leurs pas, une abondante<br />

herbe grasse à brouter. À chaque village traversé, et même à<br />

chaque hutte isolée que nous trouvions, lorsque mon père ou<br />

mon oncle redemandaient le nom de la rivière, il leur était<br />

invariablement répondu : « Kek-Su. » Narine et moi nous<br />

interrogions, interloqués, sur cette insistance à réitérer sans<br />

cesse la même question. Mais lorsque nous le leur demandâmes,<br />

ils se contentèrent de rire de notre perplexité, sans nous éclairer<br />

le moins du monde. Un jour, parvenus au sixième ou septième<br />

des villages de la vallée, au moment où mon père eut posé à un<br />

homme qui passait par là sa question rituelle, celui-ci lui<br />

indiqua poliment :<br />

— La rivière ? Son nom est Ko-Tzu.<br />

C’était pourtant la même que la veille, le terrain qui<br />

l’environnait n’avait pas changé, cet homme ressemblait autant<br />

à un yack que n’importe quel autre Tadjik, mais il avait<br />

prononcé le nom différemment. Alors, mon père se retourna sur<br />

sa selle pour crier d’une voix triomphale à l’intention de mon<br />

oncle qui chevauchait légèrement en retrait derrière nous :<br />

— Cette fois, Matteo, nous y sommes !<br />

Sur ces mots, il descendit de sa monture, ramassa une<br />

poignée de la poussière jaunâtre de la piste et s’absorba dans sa<br />

contemplation avec vénération.<br />

— Comment cela, nous y sommes ? lui demandai-je. Que<br />

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