L'école ou la guerre civile - Site de Philippe Meirieu
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<strong>Philippe</strong> <strong>Meirieu</strong> - Marc Guiraud L’école contre <strong>la</strong> <strong>guerre</strong> <strong>civile</strong><br />
Une conception implicite <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison traverse aussi bien l’idéologie <strong>de</strong>s<br />
concepteurs que celle <strong>de</strong>s nostalgiques <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Jules Ferry, une<br />
conception que l’on observe aussi bien dans « <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse d’Anatole France »<br />
que dans les réactions violentes qui s’expriment auj<strong>ou</strong>rd’hui contre t<strong>ou</strong>te<br />
forme <strong>de</strong> tradition culturelle : <strong>la</strong> raison serait le contraire <strong>de</strong> <strong>la</strong> conviction.<br />
Elle constituerait une réalité spécifique, avec ses contenus propres,<br />
indépendante et opposée aux convictions individuelles t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs arrimées au<br />
local, aux tribus et aux c<strong>la</strong>ns, à <strong>la</strong> superstition et aux intérêts individuels.<br />
Or, cette raison-là dissimule, en réalité, <strong>de</strong>s conceptions particulières qui se<br />
veulent hégémoniques : en l’occurrence, les idéaux d’occi<strong>de</strong>ntaux<br />
« éc<strong>la</strong>irés » du XIXe et du XXe siècles. Et t<strong>ou</strong>s les hommes, mêmes les<br />
penseurs les plus rig<strong>ou</strong>reux et les philosophes les plus rationnels, tiennent<br />
d’abord leurs convictions, non d’un raisonnement absolu et imp<strong>la</strong>cable,<br />
mais <strong>de</strong> leur histoire personnelle et <strong>de</strong> leurs appartenances sociales. Certes,<br />
ils les passent ensuite au crible <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison, mais ils ne peuvent jamais se<br />
dégager complètement du contexte personnel et social dans lequel ils se<br />
tr<strong>ou</strong>vent.<br />
L’éducation ne doit pas chercher - en vain - à arracher les convictions<br />
<strong>de</strong>s élèves comme on arracherait les mauvaises herbes <strong>de</strong> <strong>la</strong> superstition et<br />
<strong>de</strong> l’erreur p<strong>ou</strong>r <strong>la</strong>isser p<strong>ou</strong>sser <strong>la</strong> raison et émerger <strong>la</strong> vérité. Si l’éducation<br />
doit faire accé<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> raison, c’est dans <strong>la</strong> mesure où celle-ci est un moyen<br />
<strong>de</strong> mettre en délibération les convictions <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres, <strong>de</strong><br />
confronter leur bien-fondé, <strong>de</strong> jauger leur portée, leurs enjeux et leurs<br />
conséquences. La raison n’a pas <strong>de</strong> contenu en elle-même ; elle un un<br />
moyen qui permet aux convictions d’entrer en communication les unes<br />
avec les autres et <strong>de</strong> « faire société » dans un espace commun où l’on<br />
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