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Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand

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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />

Composite Trame par dØfaut<br />

104 Catherine Valcke<br />

continuel. D’abord observateur externe, il se fait ensuite<br />

sujet pensant, étudiant alors un premier raisonnement, puis<br />

redevient observateur externe. Il s’incarne ensuite en un<br />

autre sujet pensant pour étudier un deuxième raisonnement<br />

avant de reprendre son rôle d’observateur externe et ainsi de<br />

suite jusqu’à ce que tous <strong>les</strong> raisonnements sous observation<br />

aient été passés en revue. Entre ces différentes études, il<br />

retrouve à chaque fois son statut d’observateur externe pour<br />

pouvoir procéder à la classification des connaissances récoltées<br />

jusqu’alors et en faire la comparaison 17 . Sans ce retour<br />

17. L’étude de chacun de ces raisonnements comporte en elle-même une multitude<br />

de transpositions épistémologiques puisque pour chacun d’entre eux, le comparatiste<br />

procédera également à un va-et-vient entre le droit étranger et celui qui lui est<br />

familier. Voir en ce sens Marie-Laure Izorche, « Propositions méthodologiques pour<br />

la comparaison », Revue internationale de droit comparé, 2001, pp. 321-325. Cette contrainte<br />

épistémologique particulière aux sciences humaines tel<strong>les</strong> <strong>les</strong> études juridiques<br />

comparatives – parlons de contrainte épistémologique consciente – ne doit pas être<br />

confondue avec la contrainte épistémologique inconsciente dont traite Kant dans sa<br />

Critique de la raison pure, laquelle est le propre de toute forme d’observation scientifique.<br />

Selon Kant, aucun objet, qu’il soit naturel ou non, ne peut être compris en tant<br />

que tel par l’esprit humain. Seule est possible une compréhension du phénomène,<br />

c’est-à-dire de l’objet en tant qu’il apparaît à l’esprit humain. Mais l’objet est alors<br />

déformé par <strong>les</strong> mécanismes de perception propres à l’être humain (que l’on songe, par<br />

exemple, à la relation de cause à effet). Selon Kant, <strong>les</strong> « noumènes », ou objets en<br />

tant que tels, doivent donc être distingués des « phénomènes », ou objets tels que traités<br />

par <strong>les</strong> mécanismes intellectuels innés au sujet – seuls ces derniers étant accessib<strong>les</strong><br />

à l’esprit humain. Voir [I]mmanuel Kant, Critique de la raison pure, sous la dir. de<br />

Ferdinand Alquié, trad. par Alexandre J.-L. Delamarre et François Marty, Paris,<br />

Gallimard, 1980, pp. 276-294 [1781]. En somme, la distinction objet/sujet est moins<br />

nette chez Kant que chez Descartes. Alors que l’objectif et le subjectif constituent <strong>les</strong><br />

deux composantes étanches d’une dichotomie cardinale pour Descartes, ils ne<br />

forment que deux éléments d’une même dialectique du point de vue de Kant. Chez ce<br />

dernier, l’objet n’est pas « donné » comme tel au sujet. Dans une certaine mesure, il<br />

ne peut qu’être « construit » par lui. Si le monde extérieur façonne donc l’individu,<br />

celui-ci modèle à son tour le monde extérieur. Selon la formule de Poincaré, « [q]uand<br />

un zoologiste dissèque un animal, certainement il “l’altère” ». En le disséquant, il se<br />

condamne à n’en jamais tout connaître : Poincaré, op. cit., note 8, p. 153. Voir en ce<br />

sens <strong>les</strong> notions d’ « image scientifique » chez Bas C. van Fraassen, The Scientific<br />

Image, Oxford, Oxford University Press, 1980, p. 44, et de « fait virtuel » chez Gil<strong>les</strong>-<br />

Gaston Granger, La science et <strong>les</strong> sciences, 2 e éd., Paris, PUF, 1995, pp. 49-70, relayées<br />

dans Samuel, op. cit., note 4, p. 38. Cette contrainte épistémologique inconsciente<br />

étant applicable à tout observateur, qu’il soit ornithologue ou comparatiste, il faut<br />

comprendre que <strong>les</strong> oiseaux étudiés par l’ornithologue ne peuvent être que <strong>les</strong> oiseaux<br />

tels qu’ils apparaissent à son esprit, de la même façon que <strong>les</strong> raisonnements juridiques<br />

étudiés par le comparatiste ne peuvent être que ces raisonnements tels qu’ils lui<br />

apparaissent subjectivement. Voir en ce sens <strong>Pierre</strong> <strong>Legrand</strong>, « Sur l’analyse différentielle<br />

des juriscultures », Revue internationale de droit comparé, 1999, p. 1057 : « Ce que<br />

gagne le comparatiste par une meilleure compréhension du droit étranger, ce n’est pas<br />

une meilleure compréhension du droit-en-soi (car il n’y a jamais que le droit qui nous<br />

apparaît après avoir été travaillé par nos schèmes de pensée), mais de sa propre<br />

conception de ce droit. »<br />

<strong>Legrand</strong>1.prn<br />

V:\55125\55125.vp<br />

mercredi 8 avril 2009 16:24:12<br />

104

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