Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand
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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />
Composite Trame par dØfaut<br />
La comparaison des <strong>droits</strong> expliquée à mes étudiants 235<br />
parce qu’il était devenu possible, à un moment donné, de<br />
dire : « Voilà, à partir d’ici, ce n’est plus du droit. » Non.<br />
Car nous sommes toujours plus ou moins « en » droit ou<br />
« au » droit. Nous ne quittons jamais tout à fait le lieu du<br />
droit. À aucun moment, alors qu’il met en lumière <strong>les</strong> traces,<br />
peut-on dire que le comparatiste se trouve hors du droit (à<br />
méditer, cette phrase de l’écrivain autrichien Thomas Bernhard<br />
(1931-1989) : « Le monde est absolument, complètement<br />
juridique »). Quand le comparatiste s’arrêtera toutefois,<br />
parce qu’il le faudra bien (comme j’arrêterai ce texte à<br />
un certain moment, parce qu’il le faudra bien), il n’aura pas<br />
pour autant quitté le droit et il saura que s’il l’avait souhaité<br />
il aurait pu creuser encore, révéler encore des traces de traces,<br />
tout en restant encore « en » droit). Puisqu’il y a tant à<br />
dévoiler, puisque chaque trace conduit à une autre trace qui,<br />
à son tour, mène à une autre trace et ainsi de suite, on peut<br />
s’attendre à ce qu’un comparatiste tende à mettre l’accent<br />
sur l’un ou l’autre des discours recelés par le droit. Certains<br />
comparatistes insistent, par exemple, sur l’histoire en tant<br />
que discours constitutif du droit. Pour d’autres, c’est l’économie<br />
qui retient l’attention en tant qu’elle est constitutive<br />
du droit. Cette division du travail, pour l’appeler ainsi, intervient<br />
parce qu’un comparatiste ne peut pas tout faire et tout<br />
dire – tout excaver – à lui seul. Apprendre l’histoire ou la<br />
politique ou l’économie anglaise, par exemple, pour en déceler<br />
<strong>les</strong> traces constitutives du droit anglais, c’est déjà un<br />
énorme défi pour le comparatiste français. Puisque celui-ci<br />
« choisit » telle perspective ou tel angle d’analyse, il faut<br />
bien voir que l’explication qu’il proposera pour rendre<br />
compte du droit anglais – ce réseau de traces auquel il aura<br />
voulu s’attarder, cette mise en sens qu’il suggérera, cette<br />
mise en scène – ne relève pas de l’idée de « vérité ». Ce qu’il<br />
dit du droit anglais, la lecture qu’il en revendique, ne peut<br />
pas s’offrir comme étant « vraie ». Pour reprendre cette<br />
affirmation de manière un peu plus exaspérante encore, mais<br />
non moins pertinente, je veux énoncer ce qui suit : ce que je<br />
dis du droit anglais en tant que comparatiste, ce n’est pas<br />
vrai, ce n’est nécessairement pas vrai – et cela, car c’est moi<br />
qui parle et que je ne peux pas tout dire. Nous l’avons vu :<br />
ce que je propose relève d’une interprétation dont le lecteur<br />
<strong>Legrand</strong>1.prn<br />
V:\55125\55125.vp<br />
mercredi 8 avril 2009 16:24:21<br />
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