Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand
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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />
Composite Trame par dØfaut<br />
224 <strong>Pierre</strong> <strong>Legrand</strong><br />
article de revue plutôt que l’ignorer et ainsi de suite). Même si<br />
la présence du « soi » est donc incontournable dans la construction<br />
de l’étude comparative, et même si l’acceptation<br />
de ce phénomène confère une dimension salutairement<br />
« humaine » à la recherche, le juriste a néanmoins l’obligation<br />
de tenter de minimiser le caractère idiosyncratique de la<br />
lecture qu’il fait de l’autre droit. Oui, le « soi » occupe inévitablement<br />
une certaine place dans la formulation de la comparaison<br />
des <strong>droits</strong> ; oui, le pré-entendement joue inévitablement<br />
un rôle dans l’entendement que le juriste se fera de<br />
l’autre droit ; oui, la comparaison constitue toujours une<br />
effraction dans l’autre droit ; oui, l’autre droit se trouve inévitablement<br />
« à la merci » de son traitement par le comparatiste.<br />
Mais précisément parce qu’il en va ainsi – précisément,<br />
et tout particulièrement, parce que l’autre droit se trouve à la<br />
merci du comparatiste et que celui-ci doit donc exercer une<br />
responsabilité envers l’autre droit – j’estime qu’il incombe au<br />
juriste de faire tout ce qu’il peut pour contenir le phénomène<br />
d’ « appropriation » ou d’ « assimilation » de l’altérité (ce<br />
mot renvoie commodément à ce qui relève de l’autre). Or la<br />
stratégie qui vise à construire des similarités entre <strong>les</strong> <strong>droits</strong><br />
dans un contexte où il y a des <strong>droits</strong>, et où il y a donc la différence<br />
entre <strong>les</strong> <strong>droits</strong>, cette stratégie-là me semble indéfendable,<br />
car elle fait par trop violence à ce qu’ « il y a ».<br />
Autrement dit, la déformation, la distorsion qui se produit<br />
est trop importante pour qu’on puisse valider cette démarche<br />
comparative.<br />
Comme l’écrit justement Derrida, dès qu’on ouvre la<br />
bouche, on fait violence à ce qu’ « il y a ». Quoiqu’on dise, en<br />
effet, toute parole exprime un choix, une préférence, une prédilection<br />
– ce qui signifie qu’on ne peut jamais prétendre<br />
représenter fidèlement, impartialement, « objectivement »<br />
une situation (et celui qui soutiendrait le contraire serait un<br />
juriste qui, consciemment ou non, mettrait en avant ses propres<br />
idées sous couvert d’ « objectivité »). On fait toujours un<br />
peu violence à une situation : on en parle en nos mots, selon<br />
nos conceptions, d’après nos pré-entendements (songeons à la<br />
manière dont nous racontons une soirée : nous lui faisons violence<br />
à cette soirée en la racontant, car nous la transformons,<br />
pour ainsi dire, « malgré elle », en insistant sur tel aspect et<br />
<strong>Legrand</strong>1.prn<br />
V:\55125\55125.vp<br />
mercredi 8 avril 2009 16:24:20<br />
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