Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand
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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />
Composite Trame par dØfaut<br />
Le regard de la comparaison 151<br />
tion, avec un ordre, une régularité et une promptitude infinie,<br />
dans l’immensité des espaces » 19 . Ce regard « suppose, bien<br />
entendu, un monde qui se prête à la vue, et où nul objet<br />
[n’est], de soi, impénétrable au regard du contemplateur » 20 .<br />
Ainsi pour bien regarder, on doit être en situation de<br />
contrôle, du moins pour un instant, c’est-à-dire faire intervenir<br />
une « [v]ision surplombante, [...] [un] regard vertical qui,<br />
du haut de ses principes, voit d’emblée toutes <strong>les</strong> conséquences<br />
dans une simultanéité massive » 21 . Rhédi, l’ami correspondant,<br />
lui aussi en visite en Europe, souligne à son tour :<br />
« Pendant le séjour que je fais en Europe, je lis <strong>les</strong> historiens<br />
anciens et modernes : je compare tous <strong>les</strong> temps ; j’ai du plaisir<br />
à <strong>les</strong> voir passer, pour ainsi dire devant moi, et j’arrête<br />
surtout mon esprit à ces grands changements qui ont rendu<br />
<strong>les</strong> âges si différents des âges, et la Terre si peu semblable à<br />
elle-même. » 22<br />
Bien entendu, il ne s’agit pas là uniquement d’une question<br />
d’envie, de raison et de pouvoir. Il faut encore – et c’est<br />
ce qu’il y a de plus important – que de cette hauteur, on<br />
essaie de composer un discours suffisamment clair et sensible,<br />
capable d’expliquer, plutôt que de <strong>les</strong> sous-entendre,<br />
<strong>les</strong> rapports entre <strong>les</strong> choses discernées, ainsi que l’ordre<br />
naturel qui <strong>les</strong> gouverne. « Le discours est tenu pour l’expression<br />
la plus satisfaisante de la raison. L’idée d’un langage<br />
spécialisé, plus rationnel et plus rigoureux, n’apparaît à<br />
aucun instant. » 23 Envie, raison, pouvoir du regard – bref, la<br />
pleine conscience de ce qui est là, sous nos yeux, à notre disposition<br />
– tout cela, chez Montesquieu, ne peut vraiment<br />
rien sans la parole qui l’exprime. Regard limpide, alors, mais<br />
aussi éloquent et puis, encore, optimiste : malgré toutes <strong>les</strong><br />
19. Montesquieu, op. cit., note 1, pp. 274-275 [lettre XCVII].<br />
20. Starobinski, op. cit., note 6, p. 30. Voir aussi id., pp. 30-31 : « À l’hypothèse<br />
de la souveraineté de la vision instantanée correspond l’hypothèse de la<br />
lisibilité du monde. L’homme veut conquérir par le regard, mais le monde ne<br />
demande qu’à se donner au regard, et en un seul instant. Ainsi en va-t-il de la<br />
nature, qui se livre au savant à la façon d’une femme – d’une vierge consentante,<br />
précise Montesquieu. Et la métaphore érotique [...] vient ici nous rappeler la permanente<br />
présence du corps et de ses penchants [...] au sein même de l’ambition<br />
spirituelle de connaissance. »<br />
21. Id., pp. 32-33.<br />
22. Montesquieu, op. cit., note 1, p. 295 [lettre CXII].<br />
23. Starobinski, op. cit., note 6, p. 12 [<strong>les</strong> italiques sont de l’auteur].<br />
<strong>Legrand</strong>1.prn<br />
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mercredi 8 avril 2009 16:24:15<br />
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