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Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand

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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />

Composite Trame par dØfaut<br />

212 <strong>Pierre</strong> <strong>Legrand</strong><br />

Ailleurs, donc, on pense autrement. Et en étudiant ce qui<br />

se pense ailleurs, on est soi-même appelé à penser autrement.<br />

L’intérêt pour un autre droit se traduit par une déterritorialisation,<br />

qui est ainsi intellectuelle (ou cognitive) en plus d’être<br />

géographique. Il se traduit aussi par une détotalisation.<br />

« Notre » droit n’est plus « tout » le droit qui compte pour<br />

nous, c’est-à-dire que nous acceptons qu’il y a, en matière de<br />

connaissance juridique utile, autre chose que « notre » droit,<br />

qu’il y a d’autres <strong>droits</strong> qui peuvent, eux aussi, avoir valeur<br />

normative dans « notre » droit, non pas, certes, à titre obligatoire,<br />

mais bien d’un point de vue persuasif. Mais une question<br />

se soulève immédiatement. Dans quelle mesure l’étudiant<br />

français qui souhaite étudier un droit étranger peut-il<br />

éviter d’apercevoir ce droit à travers le prisme de son propre<br />

droit ? Est-il possible, par exemple, à l’étudiant français<br />

d’étudier le droit anglais sans en arriver à la conclusion qu’il<br />

y « manque » un code civil ? Mais <strong>les</strong> Anglais, eux, n’ont pas<br />

l’impression qu’il leur manque quoi que ce soit. Ainsi<br />

l’étudiant français qui aborderait l’absence de code civil en<br />

Angleterre comme un « manque », c’est-à-dire comme un<br />

« défaut », comme quelque chose de « négatif », trahirait en<br />

quelque sorte l’expérience juridique anglaise telle qu’elle est<br />

vécue par <strong>les</strong> Anglais eux-mêmes. L’étudiant français ferait<br />

ce qu’on appelle de la « projection ». Il projetterait sur le<br />

droit anglais sa propre conception de la codification et, ce faisant,<br />

obscurcirait la conception anglaise des choses. Une telle<br />

projection, c’est ce que <strong>les</strong> anthropologues qualifient d’ « ethnocentrisme<br />

». Il faut que le juriste français évite de tomber<br />

dans ce piège. Sinon, ses conclusions, « colorées » par sa<br />

propre formation juridique, ne seront pas crédib<strong>les</strong>. S’il<br />

devait procéder de manière ethnocentrique, le juriste français<br />

aurait effectué ce que Derrida qualifie de « fausse sortie ». Il<br />

n’aurait pas, au fond, vraiment quitté « son » droit.<br />

Ceci dit, un ethnocentrisme a minima reste inévitable, car<br />

le juriste français ne peut tout simplement pas se réinventer<br />

de part en part. La conception du droit dont il a été imprégné<br />

durant ses années d’études à la faculté de droit constitue<br />

maintenant une partie de son identité. Imogene est une<br />

juriste française. Casimir est un juriste français. Elle est cela.<br />

Il est cela. (Certes, ils sont bien d’autres choses encore :<br />

<strong>Legrand</strong>1.prn<br />

V:\55125\55125.vp<br />

mercredi 8 avril 2009 16:24:19<br />

212

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