Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand
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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />
Composite Trame par dØfaut<br />
52 Raluca Bercea<br />
droit (ou, plus exactement, <strong>les</strong> <strong>droits</strong> qu’il compare), comme<br />
celle entre le discours de la comparaison et ce dont traite<br />
celui-ci, se révèle beaucoup plus complexe que ce que Kötz<br />
voudrait bien nous faire croire. Ainsi dans <strong>les</strong> termes d’un<br />
théoricien de la fiction, « entre textes et mondes il s’établit<br />
un rapport fort instable et compliqué, à l’intérieur duquel<br />
plusieurs niveaux d’hétérogénéité rendent problématique la<br />
reproduction fidèle des mondes dans <strong>les</strong> textes » 60 . Cette affirmation,<br />
censée mettre en lumière un aspect valable pour l’ensemble<br />
des textes par rapport à la réalité dont ils parlent<br />
tous, se révèle d’autant plus pertinente dans le cas des propos<br />
que le comparatiste tient relativement aux <strong>droits</strong> dont il fait<br />
l’objet de son analyse.<br />
Les « <strong>droits</strong> » ne se trouvent pas là, devant le comparatiste,<br />
qui s’en emparerait pour ensuite <strong>les</strong> décrire, un peu<br />
comme n’importe quel objet d’étude dans un laboratoire 61 .<br />
Rien ne garantit au comparatiste, certes maître du discours<br />
véhiculant la comparaison, l’accès direct à un objet qui<br />
serait indiscutablement « du droit » et qui serait par surcroît,<br />
et tout aussi indiscutablement, « le droit ». Non seulement<br />
la capacité de connaître du comparatiste se trouvet-elle<br />
résolument tributaire de contingences cognitives et<br />
perceptuel<strong>les</strong> 62 , mais l’usage du langage et la construction<br />
de la référence sont eux-mêmes conditionnés, notamment<br />
sur le plan linguistique 63 . C’est pour cette raison qu’on a pu<br />
soutenir qu’ « à l’intérieur de chaque communauté la maî-<br />
60. Pavel, op. cit., note 6, p. 95.<br />
61. Il n’est sans doute pas inutile de préciser que <strong>les</strong> nombreuses études issues<br />
du champ des « Science Studies » au cours des dernières années ont d’ailleurs remis<br />
en cause la simplicité de la relation entre <strong>les</strong> scientifiques travaillant en laboratoire<br />
et leurs objets. Pour un panorama de ces recherches, voir Dominique Pestre, Introduction<br />
aux Science Studies, Paris, La Découverte, 2006.<br />
62. Voir par exemple <strong>Pierre</strong> <strong>Legrand</strong>, « Comparative Legal Studies and the<br />
Matter of Authenticity », (2006) 1 J. of Comparative Law 365, p. 430 [ci-après<br />
« Comparative Legal Studies »].<br />
63. Voir Thomas Pavel, Le mirage linguistique, Paris, Éditions de Minuit, 1988,<br />
pp. 61-110, où l’auteur fait observer que si la dépendance du sujet par rapport au<br />
langage est réelle, la relation qui s’établit entre <strong>les</strong> deux n’en est pas moins fort<br />
complexe. Ainsi même la pression du contexte linguistique relayée par la force du<br />
langage ne saurait définitivement supprimer la présence du sujet. En effet, le discours<br />
n’est pas un simple miroir qui reflète un stimulus extérieur sous la forme d’une<br />
réaction du sujet parlant, mais plutôt le moyen de faire surgir par celui-ci une réalité<br />
qui n’existe pas encore.<br />
<strong>Legrand</strong>1.prn<br />
V:\55125\55125.vp<br />
mercredi 8 avril 2009 16:24:08<br />
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