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Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand

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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />

Composite Trame par dØfaut<br />

214 <strong>Pierre</strong> <strong>Legrand</strong><br />

objective. En cette matière, l’objectivité relève de l’illusion.<br />

Pour prétendre à quelque chose qui pourrait ressembler à de<br />

l’ « objectivité », il faudrait que le juriste français puisse<br />

– comment dire ? – « surplomber » <strong>les</strong> questions étudiées.<br />

Mais une telle vue en surplomb n’est pas possible, car le<br />

juriste français est « situé », comme on dit en anthropologie<br />

ou en philosophie, c’est-à-dire qu’il habite un espace et un<br />

temps. Par exemple, il est juriste en France en 2009. Non seulement<br />

habite-t-il un espace et un temps, mais il est habité<br />

par cet espace et par ce temps (ainsi il est habité par ce qu’il a<br />

appris dans une faculté de droit française entre 1994 et 1999).<br />

C’est la problématique de l’identité, à laquelle j’ai déjà fait<br />

allusion. Oublions donc l’objectivité. Je dirais même plus :<br />

oublions avec sérénité l’objectivité. En effet, la situation que<br />

je décris signifie, à la réflexion, que la recherche qui porte sur<br />

le droit n’est pas désincarnée, qu’elle est le fait de femmes et<br />

d’hommes qui ont un vécu – qui sont situés – et que ces<br />

femmes et ces hommes puisent à ce vécu dans leur travail de<br />

chercheur. Qu’y a-t-il à regretter ? Comment peut-on regretter<br />

que la recherche sur le droit ait quelque chose à voir avec<br />

la vie, avec la vie des juristes qui la pratiquent ?<br />

Imaginons ainsi deux juristes français qui se consacrent à<br />

l’étude d’une question impliquant le droit anglais. L’un aura<br />

eu la chance de séjourner à Oxford pendant six semaines et<br />

aura pu compter sur <strong>les</strong> riches ressources documentaires<br />

mises à sa disposition là-bas ; l’autre aura dû se contenter des<br />

quelques ouvrages de droit anglais, certains étant d’ailleurs<br />

périmés, disponib<strong>les</strong> dans <strong>les</strong> bibliothèques parisiennes. L’un<br />

aura eu la chance de profiter d’une formation juridique binationale<br />

l’ayant conduit à étudier en Angleterre pendant<br />

deux ans ; l’autre aura dû se satisfaire des deux ou trois cours<br />

de droit anglais qui lui auront été enseignés dans sa faculté<br />

française, parfois par un enseignant français n’ayant luimême<br />

jamais étudié le droit anglais en Angleterre. Je pourrais<br />

continuer longtemps à souligner ainsi <strong>les</strong> différences<br />

entre nos deux juristes. L’un aura décidé d’insister sur telle<br />

décision de jurisprudence anglaise dans sa recherche et de lui<br />

consacrer plusieurs paragraphes ; l’autre, estimant cette<br />

même décision de peu d’intérêt, l’aura reléguée à une note en<br />

bas de page. L’un aura choisi de n’accorder presqu’aucune<br />

<strong>Legrand</strong>1.prn<br />

V:\55125\55125.vp<br />

mercredi 8 avril 2009 16:24:20<br />

214

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