Comparer les droits, résolument - Pierre Legrand
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Profil couleur : Profil d’imprimante CMJN gØnØrique<br />
Composite Trame par dØfaut<br />
Comparaison et traduction des <strong>droits</strong> 287<br />
traduisant tout simplement l’un l’autre dans la mesure où ils<br />
ne font pas état de la même aire de signification.<br />
Mais le comparatiste doit également prendre la mesure de<br />
problématiques intra-langagières, car des expressions appartenant<br />
à une seule langue, par exemple à l’anglais, sont également<br />
susceptib<strong>les</strong> de revêtir une connotation différente d’une<br />
culture juridique à l’autre. Ainsi le mot « privacy » n’a pas la<br />
même portée signifiante aux États-Unis, où la violation de la<br />
sphère privée constitue depuis <strong>les</strong> années 1960 un véritable<br />
« tort » ou chef de responsabilité civile 23 , et en Angleterre, où<br />
l’on récuse un tel développement et où l’on continue de faire<br />
valoir un « tort » relatif au « breach of confidence », qui trouve<br />
ses racines dans le droit du XVI e siècle 24 . Il nous est ainsi donné<br />
de constater que « chaque système de droit découpe la réalité<br />
juridique comme il l’entend et, sur cette base, opte pour le<br />
choix d’un mot au détriment d’un autre pour définir un<br />
concept juridique particulier » 25 . Et même si l’on retenait que<br />
la langue qui se parle à Washington et celle qui se dit à Londres<br />
ne peuvent pas être rassemblées sous l’égide de la mêmeté – ce<br />
qui voudrait dire que <strong>les</strong> différentes extensions signifiantes de<br />
« privacy » participent plutôt de l’inter-langagier –, le comparatiste<br />
devrait encore s’affronter à des enjeux intra-langagiers.<br />
Derrida signale ainsi, dans sa « Lettre à un ami japonais<br />
», qu’ « [i]l y a déjà, dans “ma” langue, un sombre problème<br />
de traduction entre ce qu’on peut viser, ici ou là, sous<br />
ce mot, et l’usage même, la ressource de ce mot » 26 . Une<br />
langue, souligne-t-il, constitue un système de références à<br />
l’intérieur duquel chaque signifiant acquiert son sens par l’interaction<br />
avec d’autres signifiants. En fait, « [t]out concept<br />
23. Cette reconnaissance est notamment redevable à l’impulsion fournie par<br />
deux artic<strong>les</strong> ayant fait date. Voir Samuel Warren et Louis D. Brandeis, « The Right<br />
to Privacy », (1890) 4 Harvard Law R. 193 ; William Prosser, « Privacy », (1960)<br />
48 California Law R. 383.<br />
24. Voir par exemple Wainwright v. Home Office, [2003] 4 A.C. 969 (H.L.) ;<br />
Campbell v. MGN Ltd, [2004] 2 A.C. 457 (H.L.). Pour une comparaison des <strong>droits</strong><br />
américain et anglais, voir Neil M. Richards et Daniel J. Solove, « Privacy’s Other<br />
Path : Recovering the Law of Confidentiality », (2007) 96 Georgetown Law J. 123.<br />
25. Florence Terral, « L’empreinte culturelle des termes juridiques », (2004)<br />
49 Meta 876, p. 878.<br />
26. Jacques Derrida, Psyché, Paris, Galilée, 1987, II, p. 9 [1985]. Une idée analogue<br />
se trouve chez Heidegger pour qui tout dialogue et tout monologue impliquent un<br />
« traduire originaire » (« ursprüngliches Übersetzen ») : Martin Heidegger, Parmenides,<br />
dans Gesamtausgabe, 2 e éd., Francfort, V. Klostermann, 1992, LIV, p. 17 [1942-1943].<br />
<strong>Legrand</strong>1.prn<br />
V:\55125\55125.vp<br />
mercredi 8 avril 2009 16:24:24<br />
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