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90 ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
poëfe,& de fes d'vne trompette fort plus aiguë &: plus force: ainfi me femble-il que
effas. la fentence preffée aux pieds nombreux de la Poëfie, s'eilance bien
plus brufquement 5&me fiert d'vne plusviue fecoufle. Quant aux
îacultez naturelles qui font en moy,dequoy c'eft îcy l'enay, ie les fens
fléchir fous la charge: mes conceptions & mon iugement ne marchent
qu'à taftons,chancelant,bronchant&c chopant: &quand ie
fuis allé le plus auant que ie puis, fi ne me fuis-ie aucunement fatisfait:
le voy encore du païs au delà: mais d'vne veuë trouble, & en
nuage,que ie ne puis demefler : Et entreprenant de parler indifféremment
de tout ce qui fe prefente à ma fantafie, ôc n'y employant
que mes propres ôc naturels moyens j s'il m'aduient, comme il fait
iouuent,dc rencontrer de fortune dans les bons Autheurs ces mefmes
lieux que i'ay entrepris de traiter,comme ieviende faire chez
Plutarque tout prefentement,fon difeours de la force de l'imagination
: à me recognoiftre au prix de ces gens-là, fi foible ôc fi chetif,
fi poifant ôc fi endormy,ieme faypitié,oudefdainàmoy-mefme.
Si me gratifie-ie de cecy, que mes opinions ont cet honneur de rencontrer
fouuent auec les leurs, &£ que ie vays au moins de loin après,
difanr que voire. Auffi que i'ay cela, que chacun n'a pas, de cognoiftre
l'extrême différence d'entre eux ôc moy : Et laiffe ce neantmoins
courir mes inuentions ainfi foibles ôc baffes, comme ie les ay produites
j fans en replaftrer& recoudre les défauts que cette comparaifon
m'y a defcouuerts. Il faut auoir les reins bien fermes, pour entre-
Lïeux des Efcri- prendre de marcher front à front auec ces gens-là. Les Efcriuains
uams de noftre fie- indifcrets de noftre fiecle, qui parmy leurs ouurages de néant, vont
de }pm des anciens, f cmanc j e s \{ c u x entiers des anciens Autheurs, pour fe faire hon-
& eur iffersnce. n e u r^f o n ti c c o n t r aj r e > Car cette infinie dilfemblance de luftres rend
vnvifagefi pafle, fi terny, ôc fi laid à ce qui eft leur, qu'ils y perdent
beaucoup plus qu'ils n'y gaignent. C'eftoient deux contraires fan-
Efcrks de chyfy- tafies. LePhilofophcChryfippus mefloitàfes Liures,nohlespaffafm
,fie.s. g CS feulement, mais des ouurages entiers d'autres Autheurs : ÔC en vn
la Modéc d'Eury pides : ôc difoit Apollodorus, que qui en retrancheroit
ce qu'il y auoit d'effranger, fon papier demeureroit en blanc.
Efcriîs izpkwc. Epicurus au rebours, en trois cens volumes qu'il laiffa,n'auoit pas
mis vne feule allégation. Il m'aduint l'autre lourde tomber furvn
tel paflage : i'auois traifné languiffant après des paroles Françoifes,
fi defeharnées, ôc fi vuides de matière ôc de fens, que ce n'eftoient
voirement que paroles Françoifes: au bout d'vn long& ennuyeux
chemin, ie vins à rencontrer vne picc» haute, riche ôc efleuée iufques
aux nues: Sii'euffe trouuéla pente douce, &la montée vn peu
alongée,cela euft efté excufable: c'eftoitvn précipice fi droit &fi
coupé, que des fix premières paroles ie cognus que ie m'enuoiois
en l'autre monde: de là ie defcouuris la fondrière d'où ievenois, fi
baffe ôc fi profonde, que ie n'eus oneques puis le cœur de m'y raualer.
Si i'eitoffois l'vn de mes difeours de ces riches defpouïlles, il
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