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Ï# ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE,
quilvoyoit fa troupe enfoncée par les Hongres, Se luy fe porter lafchement
au combat, Chafan alla pour toute refponfe le ruer furieufemcnt
feul en l'eftat qu'il eftoit, les armes au poing, dans le premier
corps,des ennemis qui fe prefenta, où il fut foudain englouty : ce
n'eft à l'aduenture pas tant iuftification, que r'aduifement : ny tant
proiïeffe naturelle, qu'vn nouueau defpit. Celuy que vous villes hier
îî auantureux, ne trouuezpas eftrangede le voir aufli poltron le lendemain
: ou la colère, ou la necelïi té, ou la compagnie, ou le vin, ou
le fon d'vne trompette, luy auoient mis le cœur au ventre : ce n'eft
pas vn cœur ainfi formé par difeours : ces circonftances le luy ont
fermy :ce n'eft pas merueille,fi levoiladeuenu autre par autres circonftances
contraires. Cette variation & contradiction qui fevoid
en nous, fi fouple, a fait qu'aucuns fongent que nous ayons deux
ames, d'autres deux puiffances, qui nous accompaignent & agitent
chacune à fa mode,vers le bien l'vne,l'autre vers le mal: vne fi brufque
diuerfitc ne fe pouuant bien alfortir àvn fujet fimple. Non feulement
lèvent des accidens me remue félon fon inclination ; mais en
outre, ie me remue Se trouble moy-mefme par l'inftabilité de mapofture
: Se qui y regarde primement, ne fe trouue guère deux fois en
TFANTE mefme eftat. le donne àmoname tantoft vn vifage, tantoft vn autre,
0* "VARIABLE. félon le cofté où ie la couche. Si ie parle diuerfement de moy, c'eft
que ie me regarde diuerfement. Toutes les contrarietez s'y trouuent,
félon quelque tour, Se en quelque façon : Honteux, infolent, chafte,
luxurieux, bauar d, taciturne, laborieux, délicat, ingénieux, hebeté,
chagrin, debonnaire,menteur,veritable, fçauant, ignorant, &libéral
&auare& prodigue: tout cela ie le vois en moy aucunement, félon
que ie me vire : Se quiconque s'eftudie bien attentiuement, trouue en
foy,voirc Se en fon iugement mefme,cette volubilité Se difeordanec. 1
ïc n'ay rien à dire de moy, entièrement, Amplement, Se folidement,
fans confufion Se fans meflange, ny en vn mot. DIJLINGTTOJ eft le plus
vniuerfel membre de ma Logique. Encore que iefois toufiours d'anis
de dire du bien le bien, Se d'interpréter pluftoft en bonne part les
chofes qui le peuuent eftre ; fi cft-ce que l'eftrangeté de noftre condition
, porte que nous foyons fouuent par le vice mefme pouffez à
LE LIEN FAIRE FE IAGE bien faire,fi le bien faire ne fe iugeoit par la feule intention. Par quoy
PAR LA FEULE INTEN- vn faict courageux nedoit pas conduire vn homme vaillant : celuy
f' on
' quileferoitbienàpoin&jille feroit toufiours, & à toutes occafions:
Si c'eftoitvne habitude de vertu, & non vne faillie, elle rendr oit vn
homme pareillement refolu à tous accidens : tel feul, qu'en compagnie
: tel en camp clos, qu'en vne bataille : car quoy qu'on die, il n'y a
pas antrevaillance furie paué, Se autre au camp. Aufli courageufement
porteroit-ilvne maladie en fon lift, qu vne bleffurc au camp:
Se ne craindroit non plusia mort en fa maifon qu'en vn affaut. Nous
ne verrions pas vn mefme homme, donner dans labrefchc d'vne bravc
afïèurance, Se fe tourmenter après, commeyne femme,de laperte